La mort du chef militaire du Conseil national de transition (CNT) libyen n'est-elle pas la traduction de profondes divisions au sein de l'insurrection contre Kadhafi ? La mort de Abdel Fattah Younès, tué par des hommes armés dans des circonstances obscures pourraient en effet masquer de profondes divisions au sein de la rébellion contre le leader libyen. Ancien ministre libyen de l'Intérieur, Younès faisait partie du groupe qui porta Kadhafi au pouvoir par un coup de force en 1969. Il avait fait défection pour rejoindre la rébellion en février dernier, devenant le chef des opérations militaires du CNT, une instance aujourd'hui reconnue comme représentant légitime du peuple libyen par une trentaine de pays, notamment en Occident. Il a été abattu avec deux de ses gardes du corps juste après sa convocation devant une commission judiciaire enquêtant sur des questions militaires, ont déclaré ses proches à la presse dans le bastion rebelle de Benghazi. L'ex-compagnon de Kadhafi avait été rappelé de la ligne de front de Bréga, à l'ouest de Benghazi, mais ses proches ont été incapables d'indiquer la raison de ce rappel. Le bruit a cependant couru voici peu que Younès était soupçonné d'avoir mené des discussions secrètes avec le gouvernement de Kadhafi. Ajoutant à la confusion, le président du CNT n'a pas dit où les meurtres avaient eu lieu et il a précisé que les corps n'avaient pas été encore retrouvés ! Peu après l'annonce de sa mort, plusieurs hommes armés sont entrés dans l'hôtel où s'exprimaient les proches de l'ex-chef militaire du CNT. Ils ont tiré en l'air, sans faire de victime. Une opération d'intimidation! Il reste que beaucoup d'insurgés n'avaient pas digéré de voir leur armée naissante dirigée par un homme aussi proche de Kadhafi. Abdel Younès n'était pas du tout conciliant, ses méthodes expéditives n'étaient pas partagées par tous et il avait été mêlé à tous les différends sur la direction des forces rebelles. Son décès n'en porte pas moins un coup sévère à la rébellion, qui peine à progresser sur le champ de bataille depuis le début de l'insurrection au mois de février dernier. Comme l'écrasante majorité des membres du CNT, Younès a été un des fidèles de Kadhafi pendant très longtemps. Il appartenait au premier cercle et n'a rejoint le CNT que dans un deuxième temps, lorsque le mouvement de sédition a pris corps. Sa mort, selon des experts de la situation libyenne, est, pour le moins, révélatrice de schismes qui sont apparus ces dernières semaines au sein du CNT. Des appétits s'aiguisent à l'approche de la fin de Kadhafi et on assiste déjà à des différends entre les anciens membres du régime et les pionniers de la rébellion. Les insurgés ont annoncé la capture de plusieurs localités dans le djebel Nefoussa, les montagnes au sud-ouest de Tripoli, mais n'ont toujours pas réalisé de percée décisive et les deux camps semblent se préparer à voir perdurer la guerre civile pendant le Ramadhan. “Nous sommes dans une impasse”, cet aveu du chef d'état-major interarmées américain, Michael Mullen, sonne comme un sérieux avertissement pour la France, placée à la tête de la coalition militaire qui opère en Libye. Alors que les forces aériennes de l'Otan poursuivent leur cinquième mois de bombardements au-dessus du pays, il est devenu évident que le CNT est incapable de s'emparer de Tripoli ainsi que des régions limitrophes restées sous le contrôle de Kadhafi. La résistance inattendue qu'oppose le dictateur depuis mars où le ministre français des AE disait que trois semaines de frappes suffirait à abattre son régime, oblige donc Paris et ses alliés à revoir sérieusement leurs plans. Mais c'est la cacophonie politique, comme au sein du CNT. Le ministre français a fait savoir que Kadhafi pourrait rester à Tripoli à condition “qu'il se mette à l'écart de la vie politique libyenne”. Un message repris par le chef du CNT, Moustapha Abdeljalil, qui jugeait que, “sous certaines conditions”, Kadhafi pouvait rester sur ses terres. “Nous déciderons où il résidera et qui le surveillera”, précisait-il. Mais tout de suite après ce message conciliant, changement de ton. “Le délai pour cette proposition est dépassé”, affirme aujourd'hui le même responsable, sans autre explication. Délai dont personne ne connaissait l'existence et qui, en toute hypothèse, s'est révélé très court. Comment expliquer ces atermoiements ? Le ministre de la Défense, Gérard Longuet, pour avoir évoqué une paisible retraite du dictateur dans sa Libye natale, s'était vu tancer par l'Elysée et le Quai d'Orsay… Pour Sarkozy, le départ de Kadhafi du pays reste le préalable à toute négociation. Quoique soit le jeu du locataire de l'Elysée, lui et l'Otan ont surestimé la capacité militaire des insurgés tout en sous-estimant celle de Kadhafi à mobiliser une partie de la population autour de lui. Des témoignages parlent même de reprise de confiance chez Kadhafi et ses fidèles! Sa posture de résistant aux forces impérialistes, selon les médias de son régime, lui a permis de retrouver une stature auprès de certaines tribus libyennes. Le dictateur demeure offensif, et plus que jamais peu disposé à céder son fauteuil. C'est un affrontement autant psychologique que militaire.