Autrefois, le mois du Ramadhan avait un autre goût. Les femmes, les hommes, les enfants, les voisins, les dattes et la table… avaient de la magie. Même el-adhane avait son enchantement. Allah aussi avait, dans les cœurs et dans les prières, une autre présence. Dans le verbe, dans l'odeur et dans les yeux, tout était beau. Serein. Pour nos ancêtres, intellectuels et créateurs, ce mois fut un espace de débat, de création et d'amour. Le Ramadhan paraissait comme une pomme partagée en toute égalité et justice entre les femmes et les hommes. Complicité et harmonie. Pendant le mois du Ramadhan les espaces de la cité musulmane sont distribués en connivence et en entente, les uns aux femmes, d'autres aux hommes. Chacun des espaces, et selon l'occupant, propose et offre son génie artistique. Son intelligence sociale et intellectuelle. Jadis, avec ses traditions ancestrales, Ramadhan, par excellence, fut le mois du verbe. Le verbe religieux et païen. Le plaisir et le message. L'utile et l'agréable. On y célèbre le récit. On y développe l'art de l'écoute. Ainsi, les places publiques et les marchés populaires quotidiens ou hebdomadaires, notamment à quelques heures avant l'appel à el-iftar, regorgeaient d'acteurs d'art et de culture. Les faiseurs des spectacles fantastiques et sensationnels s'installent dans la rue et les ruelles proposant des contes, récits, énigmes, épopées, sagas, fables et poésie populaire. Ils sont les gouals, les griots ou les hakawatis. Ils excellent dans la manie du verbe, dans le geste et dans le costume. Fascination. Tout est réfléchi. Tout est spontané. Des années plus tard, ces traditions esthétiques du "dire" ont révolutionné le théâtre maghrébin, arabe et universel. Ils ont bouleversé la monotonie de la narration romanesque. Le cinéma. Du génie ramadhanesque sur les places publiques et les marchés populaires sont nés les grands dramaturges et les éminents poètes populaires : Abderrahmane Ould Kaki et Abdelkader Alloula d'Algérie, Tayeb Saddiki et Abdelkarim Berrechid du Maroc, Azeddine El-Madani et Monsif Souissi de Tunisie, Saadallah Ouannous et Mamdouh Adouane de Syrie, Djawad Assadi et Moudaffar Anouab d'Irak, Fouad Nedjm d'Egypte… et d'autres. Si les places publiques ont développé une sorte de culture conjuguée au masculin créée ou transmise par des hommes à d'autres hommes, les femmes, quant à elles, à leur tour, elles ont choisi et occupé leur espace de création. Le verbe. Le royaume du symbole. Les tempêtes du sens. Elles ont veillé sur cet espace artistique, temporaire et géographique. C'est la maison ramadhanesque qui fut le théâtre de leur activité culturelle piquante. Les femmes, tout âge, se regroupent après l'heure d'el-iftar autour du nouveau genre artistique qu'elles avaient créé. Il est dit par les femmes. Destiné aux femmes. Ce genre artistique s'appelle : l'art de la bokala. Des poèmes sur l'amour, l'espoir, la jalousie, la beauté, les hommes et les femmes. La sagesse au féminin. L'intelligence féminine. Même si le premier espace, celui des places publiques et des marchés, était réservé à la parole du masculin cette dernière tournait autour des femmes. L'odeur de la femelle. La beauté. La fidélité. L'amour. La guerre. En contrepartie, l'espace squatté par les femmes était ouvert, à travers la parole poétique ou énigmatique, sur l'homme. L'envie. La virilité. L'absence. Le courage. L'argent. Le mariage. Le corps. La rouerie. Ainsi l'imaginaire ramadhanesque, à travers le goual et la boqala, transgressait toutes les frontières en se conjuguant au féminin pluriel et au masculin singulier ou pluriel, qu'importe. A. Z. [email protected]