Une véritable marée humaine avait envahi littéralement le petit village d'El-Bir. Les autorités locales, les élus locaux, des députés étaient là pour rendre un vibrant et dernier hommage aux trois martyrs de la région. El-Bir, paisible village de la commune de Maâtkas, se souviendra longtemps de cette terrible tragédie qui a emporté trois de ses valeureux fils. En ce mois sacré du Ramadhan où le thermomètre aura battu tous les records de canicule, les citoyens de la région ont bien du mal à respirer et surtout à contenir leur douleur et leur colère. À El-Bir comme dans tous les villages environnants, le carnage de jeudi soir est pratiquement sur toutes les lèvres. Confiné dans les bas-fonds des “Maâtkas”, El-Bir porte bien son nom car profondément enfoui dans un véritable puits tant le terrain est terriblement accidenté que l'on s'y rend par le haut en passant par Souk El-Khemis et en sillonnant les gros villages d'Aït-Ahmed, Aït-Zaïm et Ighil-Aouène ou, au contraire, en contournant la région par le bas, via Draâ Ben-Khedda pour traverser les villages de Megdoul et d'Izaroudène. Peu importe, tous les chemins mènent au fin fond d'El-Bir et tous les villages de la région convergent vers le même sentiment de révolte et d'indignation. Rabah Slifi, brave père de famille de quarante-sept ans, possédait un fourgon de transport de voyageurs et assurait quotidiennement la ligne El-Bir - Draâ Ben-Khedda et Dieu seul sait combien il était estimé à El-Bir, son village natal comme à Draâ Ben-Khedda où ses collègues transporteurs lui vouaient beaucoup de respect. “Toujours aimable, généreux et surtout disponible à tout moment et en toute circonstance, Rabah était l'ami de tout le monde. Il est mort en héros car il ne voulait guère céder au chantage tout en essayant de sauver son jeune beau-frère Brahim Issaoune qui était entre les mains de ses ravisseurs”, ont tenu à témoigner de nombreux collègues et amis qu'ils soient de Maâtkas ou de Draâ Ben-Khedda. Aujourd'hui, le regretté Rabah Slifi laisse une veuve dans la détresse et la souffrance car elle aura perdu trois êtres qui lui étaient très chers, son regretté époux, son frère cadet Brahim Issaoune, 28 ans à peine, qui a été pris en otage et son cousin Karim Issaoune, lui aussi ravi à la fleur de l'âge car tout juste âgé de 30 ans. Le père “Da Mohand” est inconsolable. Emigré en France depuis de longues années, il est venu passer le Ramadhan au bled et partager quelques semaines en famille sans se douter un seul instant que sa vie allait tourner au cauchemar et basculer dans le vide. Ayant eu vent de son arrivée au village, les ravisseurs ont aussitôt pointé le nez pour lui soutirer de l'argent. Aux dernières nouvelles, les criminels lui auraient exigé deux cent millions de centimes contre la libération de son fils cadet Brahim. “Da Moh” est parti très jeune en France où il a passé toute sa vie à trimer à la sueur de son front. “Il n'avait pas de grosse fortune. Durant toute sa vie, il a économisé un peu d'argent afin de construire une petite maison au village pour abriter décemment les siens sans plus !”, dira un villageois visiblement troublé par toute cette sauvagerie. Puis, tout s'enchaîna tragiquement avec l'arrivée des proches et des villageois qui tentèrent de faire avorter le rapt et de s'opposer au chantage. Entre la vaillance et la bravoure des villageois et la lâcheté et la cruauté des assassins, le carnage ne put être évité. Et la mort implacable avait choisi son camp, celui de la dignité et de la loyauté. Il faut dire que dans les deux communes de Souk El-Khemis et Souk El-Tenine, le racket et le crime organisé font bon ménage. “La semaine dernière, un jeune entrepreneur venait d'encaisser la modeste somme de soixante millions de centimes quand des hommes armés sont venus taper à sa porte le soir venu. Ici, tout se sait et se monnaye. C'est la loi du talion et les citoyens ne savent plus à quel saint se vouer”, dira un jeune d'El-Khemis. Terrorisme ou banditisme ? Ou les deux monstres à la fois ? Allez comprendre quelque chose ! Toujours est-il qu'une véritable marée humaine avait envahi littéralement le petit village d'El-Bir que les autorités locales, les élus locaux, quelques députés étaient là pour rendre un vibrant et dernier hommage aux trois martyrs de la région. Le wali de Tizi Ouzou, accompagné du chef de sûreté de wilaya et du commandant du groupement régional de la Gendarmerie nationale sont arrivés tôt le matin pour rendre visite aux trois familles endeuillées et présenter leurs condoléances. À cause de la chaleur torride qui sévit sur toute la région, les trois victimes ont été enterrées très tôt, l'un après l'autre, entre 11 et 12h dans des carrés familiaux ! Arrivé le matin par l'axe Tizi Ouzou-Maâtkas, le cortège officiel emprunta au retour l'autre trajet menant d'El-Bir vers Draâ Ben-Khedda pour des raisons de sécurité. En attendant, la population d'El-Bir et toutes les contrées les plus reculées des “Maâtkas” ont bien de la peine à pleurer leurs martyrs tout en appréhendant des lendemains inquiétants et incertains car le terrorisme et le banditisme sont encore aux aguets malgré toutes les fausses assurances des politiques et des garants du pouvoir.