L'Afrique de l'Ouest, le Sahel et l'Afrique du Nord sont devenus le lieu de passage privilégié des cartels de cocaïne d'Amérique latine. Le chercheur, Alain Antil, de l'institut français des relations internationales (Ifri), était hier l'invité du centre de recherche stratégique et sécuritaire (CRSS), pour faire part des résultats de ses recherches sur le sujet. La cocaïne, dira-t-il, est arrivée en Afrique de l'Ouest et au sahel dans le milieu des années 2000. Pourquoi cette date et pourquoi cette région ? Se basant sur les statistiques de l'organisation onusienne, le chercheur fera remarquer que la région connaissait des saisies annuelles ne dépassant pas la tonne avant 1986. Mais depuis, l'on enregistre pas moins de 46 tonnes saisies annuellement. Cette arrivée massive s'effectue à partir du Cap Vert, de la Guinée Bissau, du Sénégal et de la Mauritanie. Depuis l'Amérique latine (Colombie, Pérou et Bolivie), la drogue est surtout acheminée par des bateaux, mais parfois par de petits avions aménagés pour pouvoir traverser l'Atlantique, et parfois par des vols commerciaux, notamment via Dakar. En 2008, la consommation de cocaïne était dominée par l'Amérique du Nord (41%), suivie de l'Europe (26%) et de l'Amérique du Sud (20%). Mais à cette date-là, le marché européen dépassait, en valeur, le marché américain. Les USA ont mené une lutte acharnée contre les cartels de drogue, rendant son transport plus coûteux et plus dangereux, fera remarquer le chercheur de l'Ifri, qui indiquera que les cartels de drogue étaient obligés de passer par l'Amérique centrale et étaient obligés de composer avec les cartels mexicains. En face, un marché européen en pleine expansion et beaucoup moins dangereux pour passer à partir de l'Afrique de l'Ouest, une région où il n'y a pas de consommation. Le chercheur dira que les cartels ont trouvé facilement des complicités locales. Le trafic de cocaïne à partir de l'Afrique de l'Ouest, estimé entre 80 et 100 tonnes par an, génère quelque deux milliards de dollars, soit un peu plus que le PIB de certains pays de la région. Il faut savoir que le kilogramme de cocaïne coûte en Colombie 2 400 euros, contre 8 000 euros en Guinée Bissau, 10 000 euros en Mauritanie, 20 000 euros en Afrique du Nord et entre 30 et 45 000 euros en Europe. Pour ce qui est des acteurs de ce trafic, il y a, en premier, les cartels colombiens et les mafias européennes traditionnelles comme la Cosa Nostra, présentes en force en Afrique de l'Ouest. Il y a aussi les sous-traitants que sont les gangs nigérians et ghanéens, qui sont très actifs et dont l'activité remonte aux années 50. Il y a, ensuite “les mafias d'Etat”. Selon Alain Antil, “cela devient systémique. Au sein de l'Etat, il y a des gens dont la mission est de faciliter ce genre de trafic.” À titre illustratif, il citera le chef de la marine de Guinée Bissau, qui figure sur les listes des grands criminels aux USA. Il y a, aussi, certains membres de la diaspora syro-libanaise, mais aussi les tribus locales, en matière de convoyage et, à un degré moindre Aqmi, qui assure la protection des convois dans une partie du nord du Mali. À tout ce beau monde s'ajoute la diaspora africaine présente en Europe, mais aussi plusieurs citoyens européens. Le chercheur notera que le nombre d'acteurs dans la région est en train de se multiplier, ce qui n'est pas sans risques sur la région. Il rappellera que les Colombiens, lorsqu'ils traitaient avec les Nigérians, ils ne les payaient pas cash, mais à travers une partie de la cocaïne. Il existe, en ce moment, une compétition féroce pour le contrôle des zones de stockage, d'où le recours à l'armement des différents gangs. Le chercheur notera que la lutte contre ce trafic ne figure pas parmi les priorités des chefs d'Etat de la région, estimant que ce trafic rapporte, pour le moment, de l'argent et que ça n'a pas d'effets dangereux sur la région. “Il y a un afflux de cash qui se recycle facilement.” Il dira qu'il est très facile de s'acheter des protections politiques et policières, comme il est très facile de s'acheter un immeuble cash à Dakar. Dans toute la région de l'Afrique de l'Ouest, seulement 7% de la population sont bancarisés, notera-t-il, avant de rappeler que ces pays ont subi les potions amères de la Banque mondiale, au moment où ils connaissent un boom démographique qui rendra plus ardue la tâche des gouvernements de la région, et de faire remarquer la paupérisation, voire la clochardisation des fonctionnaires, tout comme l'extrême dépendance de ces pays aux importations. Autant de facteurs qui facilitent le développement du trafic de cocaïne, sans le moindre signe de volonté de le combattre.