Le gouvernement a préparé des couffins pour les sinistrés du séisme du 21 mai. Un couffin à bouffer sous la tente, pour les plus infortunés d'entre eux, ou dans des cabanes conteneurs, pour les plus gâtés. Je croyais que tout le monde, et les autorités en premier, avaient compris qu'un sinistré c'est quelqu'un qui a surtout perdu, parfois des proches, mais souvent son toit. Rarement son emploi ou ses revenus. En tout cas, pas au point de vivre un problème de nutrition plus aigu que celui que vit la moyenne de ses concitoyens. La démarche bigote et alimentaire que le ramadan légitime et qui s'est, depuis des années, imposée à la société, est confortée et légitimée par le pouvoir. Couffin communal et repas pour indigents médiatisés comme hauts faits d'armes d'Etat. L'estomac comme programme politique, cela ne revient pas cher et c'est propagateur de l'attribut de générosité des responsables ! Le pouvoir pousse l'hypocrisie jusqu'à pleurnicher avec le peuple qui se saigne pour garnir la table pendant trente jours, lui qui a pris l'option salutaire — n'est-ce pas — de l'économie de marché et, donc, de la liberté des prix. Les prix ont augmenté durant le mois certes, mais pourquoi la consommation augmente-t-elle durant ce mois d'abstinence ? Si la perception gastronomique domine la société et dicte ses réflexes, pourquoi le commerçant serait-il bridé dans sa voracité mercantile ? Et puisque les besoins en viande ou en courgettes s'envolent, pourquoi se gênerait-il de majorer aussi le prix de l'oignon dont il est peu probable que l'usage augmente. Il faut bien prendre acte qu'en plus d'être un mois de gloutonnerie populaire, le ramadan est aussi un mois de cupidité nationale. Le pays baigne tout entier dans l'avidité : la consommation explose, le commerce, insoumis à la loi par une permission d'Etat se multiplie, et le nombre de marchands de toutes sortes de victuailles, exempts de toute règle fiscale ou commerciale, décuple. Beaucoup de “consommateurs” qui se plaignent de la hausse générale sont des “vendeurs” exonérés de taxes ; il faut bien que les commerçants “imposés” soutiennent la concurrence déloyale que les largesses ramadanesques du pouvoir autorise. Pour ces raisons et pour d'autres, il n'est pas sain de pleurer avec le berger quand on ferme les yeux sur le chacal. Surtout que le chacal n'est pas toujours, en tout cas pas seulement, celui qu'on croit. Une République, c'est la permanence de la loi. Et c'est avec cette conception instrumentale de la sacralité d'un ramadan réduit à son aspect intestinal que nos dirigeants s'en sont allés, couffin à la main, dans une région de Boumerdès qui ne souffre pas plus de faim que d'autres coins du pays, mais qui, par contre, manque trop de constructions habitables. La boulimie nationale semble convenir parfaitement à nos gouvernants. Durant le ramadan, il parlent enfin le même langage que le peuple. Car, eux aussi savent ce que bouffer veut dire. M. H.