À la veille de la tripartite du 29 septembre, Liberté a rencontré les membres du comité exécutif du think tank “Défendre l'entreprise” pour connaître leur appréciation et leurs attentes. Liberté : Avez-vous des échos sur les résultats des groupes de travail décidés à l'issue de la tripartite du 28 mai et dont les conclusions devraient être présentées lors de la tripartite d'aujourd'hui ? ll Le think tank “Défendre l'entreprise” n'est pas partie prenante de ces groupes et n'est donc pas en mesure de parler au nom des membres qui y ont participé. Toutefois, plusieurs échos nous sont parvenus qui nous permettent de donner notre perception des résultats qui devraient être présentés à la tripartite d'aujourd'hui. Il faut rappeler que la tripartite du 28 mai a revêtu un caractère exceptionnel, puisqu'elle a été demandée par le président de la République en personne et a été consacrée exclusivement aux problèmes de l'entreprise. Cette 14e tripartite a débouché sur des conclusions qui préconisaient la mise en application de deux séries de mesures. La première consistait en des mesures à prendre immédiatement ; la seconde, des mesures à maturer davantage dans le cadre de groupes de travail mixtes qui devraient déposer leurs conclusions à la session de septembre, c'est-à-dire aujourd'hui. Les mesures qui devaient être mises en œuvre dès le 1er juillet dernier concernaient trois volets : a) les conditions d'approvisionnement des entreprises de production et de service avec la fameuse “question” du Credoc ; b) le rééchelonnement des dettes bancaires des PME ; c) enfin, la bonification des crédits d'investissement aux PME. Nous sommes le 29 septembre et ces mesures ne sont toujours pas mises en application effective. Les banques sont toujours aussi bureaucratiques, même si elles ont affiché leur disponibilité à exécuter ces décisions. S'agissant des mesures à maturer et à présenter lors de la tripartite du 29 septembre, elles concernent huit dossiers pris en charge chacun par un groupe de travail mixte. Selon les échos que nous avons eus, ces groupes ont eu des activités inégales et nous verrons lors de cette session si les conclusions auxquelles ils sont parvenus vont dans le sens d'une aide véritable à l'entreprise. Pour l'heure, les organisations patronales ne semblent pas satisfaites du travail engagé. Elles constatent que les dossiers ont été déviés vers les ministères techniques concernés qui ont retrouvé leurs habitudes de tutelles lourdes et qui ont repris à zéro les dossiers qui devaient, au contraire, être traités dans un esprit ouvert et constructif, allant dans le sens de l'accompagnement de l'entreprise dans sa bataille de reconstruction de la performance et de la compétitivité. La tripartite pourrait décider d'une augmentation du SNMG. Que pense le think tank de l'impact de cette éventuelle revalorisation sur les entreprises ? ll Chez nous, le SNMG est indexé sur le coût de la vie, ce qui somme toute est normal. Mais il n'a aucune connexion avec la productivité, ce qui pose de sérieux problèmes de performance et de compétitivité non seulement aux entreprises mais à l'économie tout entière. Lorsque la productivité ne s'améliore pas, et même régresse dans certaines branches comme c'est le cas chez nous, la production devient de plus en plus coûteuse, les prix sur le marché augmentent et les salaires doivent suivre. Nous sommes alors dans une spirale où tout le “monde perd” : les entreprises ont des coûts de production élevés, les salariés sont en perpétuelle situation de rattrapage salarial et l'économie est en mauvaise posture car elle perd en compétitivité. Dans notre pays, la hausse du SNMG est financée par la rente pétrolière et relève d'une redistribution de ressources non produites, pour leur grande part, par l'investissement et le travail. De surcroît, sans une politique de l'offre sérieuse et déterminée, la hausse des salaires est un appel d'air aux importations qui connaissent un emballement sans précédent. Alors, oui à l'amélioration du SNMG (et aussi aux autres salaires), mais oui aussi à l'impérieuse nécessité de mener la bataille de la productivité en mettant en œuvre rapidement une politique de l'offre qui soutient l'entreprise locale, la libère des carcans qui l'étouffent et l'aide à répondre avec efficience à la demande nationale qui ne cesse d'augmenter. Il faut que nos policy makers comprennent, une fois pour toutes, que c'est une immense chance d'avoir un marché intérieur aussi important que le nôtre et qu'il faut impérativement en faire bénéficier nos propres entreprises en les aidant à “monter sur selle”. À cet égard, la mesure dite de “préférence nationale” accordant un bonus de 25% aux entreprises locales dans les appels d'offres publics, si elle est la bienvenue, est loin d'être suffisante si l'on songe aux conditions souvent draconiennes posées dans les cahiers des charges qui les disqualifient automatiquement. Une politique de réel soutien aux entreprises locales demandera, certes, des efforts financiers à l'Etat. Mais ce que paiera l'Etat pendant trois ou quatre années sera largement amorti à moyen terme sous forme d'emplois créés, de revenus fiscaux, de construction de la compétitivité de l'économie nationale. Dès lors, il est bien décevant de constater que les mesures décidées lors de la tripartite du 28 mai, et qui sont censées accompagner l'entreprise dans ses efforts d'investissement et de production, sont hélas restées lettre morte ou, en tout cas, ont été déviées de leurs objectifs stratégiques. Encore une fois, les logiques sectorielles l'emportent sur la vision “économie nationale”. Les banques, par exemple, sont toujours dans une position confortable du “risque minimum” en plus d'une gestion bureaucratique lourde et fortement handicapante pour le secteur de production. L'amélioration du climat des affaires est une autre mesure phare décidée le 28 mai. Pensez-vous qu'on ait fait quelque progrès dans ce domaine ? ll Dans le communiqué final de la tripartite du 28 mai, l'amélioration du climat des affaires figurait comme priorité fondamentale. Comme vous le savez, le climat des affaires en Algérie est particulièrement hostile à l'entreprise. C'est ce qui ressort nettement des différents classements internationaux où l'Algérie, dans ce domaine, figure toujours dans le peloton de queue. Les progrès qui devront être faits sont essentiellement du ressort des pouvoirs publics. Il s'agit d'abord d'assainir le cadre institutionnel : harmoniser la législation et la réglementation qui concernent l'entreprise, donner une meilleure stabilité à ce cadre, faire en sorte que les règles soient plus lisibles et plus claires. Il s'agit aussi de simplifier les procédures administratives et d'améliorer les relations des entreprises avec l'administration. Améliorer le fonctionnement des marchés et lutter contre les marchés informels sont un autre aspect de l'amélioration du climat des affaires. Enfin, et c'est là un aspect crucial, il faut offrir un cadre d'accès aux ressources publiques plus favorable à l'entreprise : foncier industriel, avantages fiscaux, qualité des infrastructures et des services publics. Malheureusement, à l'exception de la nouvelle démarche pour l'accès au foncier industriel, sur toutes les autres questions, aucune action visible n'a été entreprise à ce jour par les pouvoirs publics. L'entreprise algérienne se trouve toujours prisonnière d'un carcan qui l'empêche de se développer et d'améliorer sa compétitivité. Dans cette quête vers un climat des affaires plus propice à l'entreprise, le think tank “Défendre l'entreprise” souhaite contribuer à toute initiative dans ce domaine. À cet égard, il a pris l'initiative de lancer une étude sur l'évaluation du droit des affaires algérien. Lorsque cette étude sera achevée, vers la fin 2011, il éditera un Livre blanc qui livrera les recommandations des experts mobilisés pour asseoir un droit des affaires qui offre à l'entreprise compétitive algérienne les conditions juridiques fondamentales pour se développer. K. R. (*) Les membres du think tank interviewés sont : Med Cherif Belmihoub, Abdelmadjid Bouzidi, Taïeb Hafsi, Abdelhak Lamiri et Smaïl Seghir. Rejoignez-nous sur le blog du think tank à l'adresse : http://defendrelentreprise.typepad.com Retrouvez l'intégralité de l'entretien sur ce blog.