Nous assistons en direct à une anarchie sur le marché. Les cris des citoyens devant la spéculation massive et la flambée des prix au cours des premiers jours de ramadan n'ont pas fait bouger d'un iota nos dirigeants. “Bien sûr, ils ne sont pas touchés. Ils ne vont pas au marché. Pas de dépenses d'alimentation. Tout est gratis”, lance un citoyen. De façon officielle, l'Etat s'en tient à la liberté des prix consacrée par la loi sur la concurrence. En un mot, le commerçant est libre de fixer le prix. En ce sens, les services du commerce répondent face à cette envolée des prix que c'est la loi de l'offre et de la demande. Lorsque la demande est plus forte que l'offre, c'est la flambée. À l'inverse, quand l'offre est plus importante, les prix baissent. En fait, la réalité est beaucoup plus complexe. Elle montre plutôt que les services de l'Etat sont absents, résultat d'une insuffisante volonté politique pour comprendre le phénomène et, surtout pour juguler la spéculation et la hausse astronomique des prix au cours du mois de ramadan. Défaillance n°1. La régulation. Au ministère du Commerce, on nous dit que l'Etat n'a pas à faire de la régulation. C'est l'affaire des opérateurs. Ils n'ont qu'à intervenir. Ils y gagnent de l'argent. Mais pour des avis spécialisés, la protection du pouvoir d'achat des citoyens incombe au plus haut point au gouvernement. Dans des situations de demande supérieure à l'offre, l'Etat peut intervenir en encourageant l'importation pour une période bien précise, la plus courte possible, ou en intervenant lui-même à travers une firme publique. Son action consiste à favoriser les ventes de production au consommateur ou les importations pour inonder le marché et baisser ainsi les prix tout en assurant un suivi pour éviter que l'opération soit détournée au profit d'autres spéculateurs. Défaillance n°2 : l'état ne s'attaque pas à la spéculation qui fait augmenter artificiellement les prix. Le bon sens dit que pour y voir plus clair, il convient de différencier ce qui est légal de ce qui est illégal. Les commerçants sont libres de fixer leurs prix. Le rôle de l'état, lui, est de veiller à ce qu'il n'y ait pas entente sur les prix, à ce que les prix soient affichés. Encore faut-il identifier les intervenants ? Ou la faille du système, c'est l'insuffisante maîtrise de la chaîne du commerce intérieur, ou pour le commerce de la viande comme pour celui des fruits et légumes, ce sont des enlèvements non déclarés qui tirent les ficelles : maquignons dans le cas de la viande, les privés dans le second cas. Dans la première situation comme dans la seconde, vous ne pouvez pas savoir s'il y a rétention de produits pour influer sur les prix. Vous avez affaire à des fantômes. Ce qui est incompréhensible, c'est que l'état a dépensé un argent fou pour recenser entre autres les agriculteurs et les éleveurs. Mais il n'utilise pas les fruits de ce chantier pour cerner la coordination avec les services du commerce, avec plus de précision, la chaîne qui va du producteur au consommateur. On comprend alors pourquoi les impôts n'arrivent pas à appréhender l'assiette fiscale. Là aussi, l'état est défaillant, il semble bien que c'est le marché parallèle qui dicte sa loi sur les marchés du pays. Dans pareille situation, les services de contrôle sont impuissants, ils ne peuvent empêcher ni les ventes en dehors des enceintes marchandes ni les transactions en troisième et quatrième main, sans factures. Par ailleurs, le dispositif de contrôle de la qualité et de la répression des fraudes présente d'énormes failles. Les inspecteurs du commerce ne font pas office de police judiciaire. Ils ne peuvent pas directement opérer la fermeture de locaux commerciaux en cas d'infractions graves à la réglementation. C'est le wali qui décide de la fermeture, à l'issue de l'examen du dossier du contrevenant présenté par le ministère du Commerce. Les affaires portées en justice traînent. pour défaut d'hygiène pouvant entraîner des intoxications alimentaires, le commerçant mis en cause est condamné à ne payer qu'une amende de 100 DA à 1000 DA, d'où l'absence de dissuasion. Les sanctions ne sont donc pas sévères, d'où la persistance de nombre de commerçants à user de pratiques illégales. Cela va du manque d'hygiène, la rupture de la chaîne de froid, à la commercialisation de produits anonymes, c'est-à-dire ne comportant ni le nom ni l'adresse de l'importateur ou du producteur, ni la date de péremption ou l'une des deux mentions. La légalisation de l'informel tarde à s'effectuer. Ce secteur constitue pourtant une véritable concurrence déloyale aux commerçants et aux opérateurs. Il est à la source de la commercialisation de produits de la contrebande, de la contrefaçon et autres biens non conformes à la réglementation ou aux normes de qualité. Nous sommes donc en pleine anarchie sur le marché. Ce grand désordre ouvre la voie à des solutions imposées de l'extérieur. À coup sûr, l'assainissement du marché sera une exigence de l'union européenne avant la mise en œuvre de l'accord d'association. En attendant, les consommateurs subissent le diktat des commerçants et des spéculateurs. Cette situation est insoutenable. Il est temps de mettre le holà. N. R.