Maître Bouchachi, décortiquant les lois actuellement en discussion au Parlement, dira qu'elles sont “en recul” par rapport aux réformes de 1990. “J'étais en Tunisie et j'ai éprouvé une grande tristesse. En neuf mois, ils ont réussi. Au Maroc aussi. Pourquoi les tenants du pouvoir algérien s'entêtent-ils à mettre en danger le pays ?”. L'indignation n'est pas d'un opposant politique iconoclaste, ni d'un objecteur de salon. Elle est de Me Bouchachi, président de la ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (Laddh). Dans une intervention à la conférence-débat animée par des juristes, des journalistes et des académiciens, organisée jeudi par son organisation à Alger, sous le thème “Projets de textes de loi : un pas vers les réformes ou une consécration du statu quo ?”, Me Bouchachi s'est montré très sceptique quant à la volonté du régime algérien d'aller vers de véritables réformes. “Lors du discours du 15 avril, après 900 manifestations, et compte tenu de la conjoncture régionale, on pensait que nos dirigeants allaient tirer les leçons…”, ironise-t-il. Et les textes de loi confortent son scepticisme. Un ministre de l'intérieur qui se substitue à la loi, des propositions du Cnes, pourtant proche du pouvoir, qui ne sont pas tenues en compte dans l'élaboration de la loi sur les associations, absence d'avancée dans la loi sur l'information, des partis et autres associations et journaux à la merci de l'administration pour l'obtention d'un agrément ou encore l'interdiction de financement des associations hormis celles gravitant autour du pouvoir sont autant d'entraves relevées par l'avocat dans les textes de loi soumis à l'approbation de l'Assemblée. “Les nouveaux projets sont un recul dangereux dans tous les domaines. Un recul par rapport aux réformes de 1990”, estime-t-il. Pour sa part, Amar Belhimer qui s'est penché sur la loi sur les associations, observe que ce “texte de loi empêche tout processus de réforme”. Constatant que le mouvement associatif est aujourd'hui dominé par l'action syndicale — un syndicalisme “buvard” destiné à absorber les révoltes sociales, dit-il — avec l'hégémonie de l'UGTA et du patronat et un foisonnement d'associations (plus de 80 000) —, M. Belhimer relève que la “société civile est de circonstance”. Selon lui, le nouveau texte qui reconduit le régime de l'agrément, le contrôle tatillon des financements et la surveillance étroite des associations étrangères ne répond même pas aux attentes exprimées par le mouvement associatif lors des récentes assises parrainées par le Cnes. De son côté, le rédacteur en chef du journal Wakt El-Djazair, Mohand Iouanoughène, intervenant sur la loi sur la l'information, s'est montré formel. “Elle n'apporte rien de nouveau.” Même scepticisme exprimé par le député Ali Brahimi sur la loi sur les partis. Quant à la loi sur les avocats, elle confirme que “la source du pouvoir, c'est la force”, selon un juriste. Conclusion de Me Bouchachi : “Le régime totalitaire est comme le cancer, si on ne le soigne pas, il avance.” “Pourquoi un régime totalitaire qui gère par téléphone va nous offrir la démocratie ?”, s'interroge-t-il. Convaincu qu'“il n'y a pas de volonté de changement chez le régime”, le président de la Laddh estime que c'est au peuple d'imposer le changement. “La conjoncture régionale est favorable. Si on agit pacifiquement, on sera soutenu. On peut faire des choses, mais la responsabilité nous incombe.” Karim Kebir