Retraités, cheminots, travailleurs des collectivités locales, de l'éducation nationale, médecins, avocats, magistrats s'indignent et manifestent leur colère face à la précarité de leur situation socioprofessionnelle et à l'érosion de leur pouvoir d'achat. Au cœur de cette contestation, les revendications salariales occupent la première place. En vérité, la question salariale en Algérie, comme sous d'autres cieux, à l'instar du mouvement des indignés en Occident, s'affirme et se pose aujourd'hui comme une préoccupation majeure qui imprègne de plus en plus largement les sociétés humaines, par- ce qu'elle détermine leurs conditions de vie. Elle constitue pour les pouvoirs publics algériens un véritable “casse-tête”. Coincés entre une croissance économique qui peine à s'installer durablement et une pression sociale liée essentiellement à l'érosion du pouvoir d'achat, ces derniers agissent par à-coups et de manière cyclique en gérant des situations de crises devenues endémiques. L'amplification des contestations sociales depuis notamment janvier 2011 — début du déclenchement du printemps arabe — et les résultats de la dernière Tripartite, qui ont déçu de larges couches de travailleurs, de retraités ainsi que d'autres catégories socioprofessionnelles, mettent à nu de façon dangereuse les fissures du front social. Au demeurant, les incohérences de la politique salariale menée par les pouvoirs publics avaient déjà, dans un passé récent, fait l'objet de critiques par le Cnes (Conseil national économique et social) qui avait estimé que les différentes revalorisations ont été effectuées “d'une manière cyclique et sans rapport direct avec la productivité du travail et l'inflation”. Ce parlement social avait suggéré dans le même temps “d'aborder la question plus globale des revenus salariaux et des critères qui contribuent à leur détermination et à leur augmentation”. L'incapacité de l'Etat à réguler le marché local des biens de large consommation, fortement dépendant des fluctuations des marchés internationaux et de l'emprise de la spéculation, en plus de la faible productivité de l'outil de production national rendent la situation plus complexe. Selon le docteur Mebtoul, professeur d'université et expert international, la sphère informelle contrôle quatre segments-clefs des produits de consommation qui représentent 70% des besoins essentiels de la population. Il s'agit des fruits et légumes, viandes et poissons pour les marchandises locales, les textiles et chaussures pour l'importation (enquête CNEAP de septembre 2007). À ces paramètres vient se greffer une poussée inflationniste qui repart à la hausse, estimée par les spécialistes à plus de 4,6%. Cette dernière est accentuée par la détérioration de la valeur du dinar qui perd 25% face à l'euro et 15% face au dollar. La combinaison de l'ensemble de ces facteurs s'est traduite par une amplification de la précarité sociale et la paupérisation de plus en plus grande des couches moyennes, menaçant dangereusement la stabilité et la cohésion sociales. Devant une telle situation, de nombreuses voix se sont élevées pour attirer l'attention des pouvoirs publics sur les risques d'une explosion sociale. Ainsi, les syndicats autonomes et certaines formations politiques avaient suggéré un SNMG à plus de 30 000 DA pour faire face à la dégradation du pouvoir d'achat. Pour sa part, l'UGTA, dans une étude sur le même thème, avait recommandé un SMIG à 25 000 DA. De façon générale, les spécialistes des questions salariales estiment que le salaire pouvant faire face à la dégradation du pouvoir d'achat doit osciller entre 40 000 et 50 000 DA. D'autant que certaines enquêtes sur les salaires révèlent que “la salarisation est en net recul et est passée, en 20 ans, d'environ 50% à moins de 20% — en 2008/2009 — dans la structure du produit intérieur brut (PIB), contre 50% à 60% dans les pays développés et émergents”. Cette baisse, accompagnée d'une fragilisation de la relation de travail du fait de la précarité de l'emploi, s'est effectuée essentiellement au profit des sphères spéculatives et rentières. Ainsi, un sentiment d'injustice et une perte de confiance dans la démarche salariale menée par les autorités et les arguments que ces dernières mettent en avant pour limiter au strict minimum les revalorisations des rémunérations nourrissent le mécontentement social. Ce sentiment de frustration se nourrit également de l'aisance financière de l'Algérie dont le pouvoir s'enorgueillit. La poursuite des mouvements de revendications sociales est la parfaite illustration de cette cassure entre la société et le pouvoir politique. Le manque de concertation et de dialogue, notamment avec les syndicats autonomes, de plus en plus mobilisateurs et crédibles, tout particulièrement auprès des catégories sociales les plus “conscientes” — enseignants, médecins, avocats, fonctionnaires —, alimente les tensions et potentialise les mécontentements. Cette évolution de la situation économique et sociale est cependant ponctuée de revalorisations des salaires des couches les plus vulnérables. Ainsi, durant les cinq dernières années, les salaires de la majorité des Algériens ont été revus à la hausse par l'Exécutif dans le cadres des tripartites. Ces revalorisations ont concerné plus d'un million d'Algériens. Ainsi, le SNMG a été revu à la hausse, passant de 12 000 à 15 000 DA et, tout récemment, à 18 000 DA. Par ailleurs, la révision du régime indemnitaire de la Fonction publique a mobilisé 140 milliards de dinars. La masse salariale, quant à elle, se chiffre actuellement à environ 1500 milliards de dinars, selon Karim Djoudi, ministre des Finances. De tels efforts, il faut tout de même le dire, ne peuvent porter leurs fruits qu'en jugulant l'inflation par des mesures de régulation du marché des biens de large consommation d'une part, et d'autre part en consolidant et en élargissant les instruments incitatifs en faveur des secteurs productifs privés et publics, notamment les PME et PMI, pour développer de nouvelles niches de productivité et booster la croissance hors hydrocarbures. Ce sont aussi les dernières conclusions de la mission du FMI dans notre pays qui estime que le “PIP” (programme d'investissement public) ne peut plus jouer un rôle dynamique et recommande que le secteur privé doit prendre le relais pour “créer de l'emploi et favoriser la diversification de l'économie hors hydrocarbures”. A. H. Exilé 02-11-2011 14:04 Razik 02-11-2011 12:04