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le Pr Bougherbal, président de la Commission médicale des transferts à l'étranger, à Liberté
“C'est une erreur que de croire que le traitement du cancer relève exclusivement des centres anticancéreux”
Publié dans Liberté le 08 - 11 - 2011

Liberté : Les cancéreux algériens se plaignent des lenteurs dans le lancement des traitements après la découverte de la maladie. Qu'en est-il réellement ?
Pr Bougherbal : L'idéal est de traiter le cancer au moment où il est guérissable. Il faut donc insister sur le dépistage et le diagnostic précoce. On peut encore faire mieux en misant sur la prévention. D'autant que les causes principales du cancer sont connues, c'est-à-dire le tabagisme, l'alcool, l'obésité, une alimentation carentielle en légumes et fruits, une mauvaise hygiène de vie, le stress, le facteur génétique…
Quand le diagnostic précoce est posé, la première indication, sauf pour les cancers liquides, est la chirurgie. La chimiothérapie ou la radiothérapie renforcent un traitement. À titre d'exemple, une femme, qui souffre d'un cancer du sein, autour duquel on a découvert une zone ganglionnaire, on la soumet systématiquement à la chimiothérapie. Est-ce qu'il est utile de faire de la chimio ou de la radiothérapie à une personne qui souffre d'un cancer en état métastasique ? Des pays sérieux, comme ceux de la Scandinavie, disent qu'il faut traiter les cancers localisés ou avec une métastase. Dans le cas de cancer avec plusieurs métastases, on accompagne le malade, c'est-à-dire on l'aide à mourir dans de bonnes conditions, en le soulageant de la douleur. Chez nous, même si le malade est condamné, on fait de l'acharnement thérapeutique alors que l'espérance de vie ne s'améliore pas.
On avance le chiffre de 40 000 nouveaux cas de cancer chaque année en Algérie. Cette statistique est-elle réelle ?
C'est de l'extrapolation à partir de chiffres français. Selon les chiffres de l'OMS, 7,6 millions de cancéreux sont décédés en 2010, dans le monde. Cela représente 13% de la mortalité globale. Vous voyez que nos 9% (de morts causées par le cancer, ndlr) ne sont pas loin. Si je prends les 149 000 morts des suites de cancer en France, je divise par 3 et je multiplie par X, je peux avoir 30 000 à 40 000 nouveaux cas par an. Mais en réalité, je n'en sais rien. C'est une hypothèse et non pas une réalité. Il existe une trentaine de registres de cancer en Algérie. Il n'y en a que deux qui ont été validés par l'OMS. Pour moi, la question n'est pas dans les statistiques, mais de savoir pourquoi ces malades meurent. Et bien, c'est pareil partout dans le monde, on meurt du cancer quand il est découvert tardivement. Si elle est prise en charge précocement, la maladie guérit réellement. Si l'on réduit les facteurs de risque par une éducation sanitaire, on baisse la mortalité de 30%. Une fois que le dépistage est réalisé, le traitement doit intervenir rapidement. La première indication est la chirurgie. Une tumeur doit être enlevée.
Justement, on tarde trop à traiter le cancer, même quand il est diagnostiqué à ses débuts…
La grande erreur que l'on a commise est de croire que le cancer relève exclusivement des centres anticancéreux. Nous n'en avons que trois ou quatre à l'échelle nationale. Imaginez une femme d'Akbou qui a un cancer du sein et qu'on envoie à Alger pour subir une chirurgie. Au CPMC, elle trouve 500 malades avant elle et on lui demande d'attendre son tour, alors que dans son village, il y a un chirurgien qui sait enlever une tumeur. Le plan cancer français recommande le démantèlement des centres anticancéreux. D'abord pour des raisons humanitaires. Le cancéreux est un malade comme les autres. Pourquoi l'enfermer dans un ghetto quand il peut être pris en charge dans un hôpital général. On peut dire effectivement qu'il n'est pas doté de moyens. Justement, on fait des économies de moyens en l'équipant. Il n'y a aucune raison que la radiothérapie soit réservée au centre anticancéreux. Le ministère de la Santé a décidé d'acquérir 54 accélérateurs qu'il destine aux centres anticancéreux. Il faudra alors attendre que ces centres soient achevés. Pour avoir une machine, il faut six mois, alors que la construction d'un centre anticancéreux prend des années.
Qu'en est-il du plan cancer ?
Vous l'avez vu ? Moi je ne l'ai jamais vu. Les Français ont mis dix ans pour élaborer leur plan cancer. Nous, on parle de volonté de lutter contre le cancer, d'acheter des appareils et de construire des centres anticancéreux. Il faut d'abord commencer par faire le point sur la situation et établir des registres de cancer. Ensuite, élaborer une stratégie y afférente.
Certains oncologues proposent, comme mesure transitoire, le transfert des malades à l'étranger pour des séances de radiothérapie. Qu'en pensez-vous ?
Vous savez ce que cela implique ? La radiothérapie consiste en des séances de radiation de 15 à 20 minutes. En dehors de la séance, le patient n'est pas hospitalisé. Si vous envoyez les malades à l'étranger, vous les évacuez où ? La CNAS peut payer les séances, mais pas l'hôtel et la restauration. D'après le chiffre qu'on a avancé, il faut transférer 10 000 cancéreux pour radiothérapie.
Quel pays accepte de prendre en charge autant de malades par an ? Quel consulat délivrera autant de visas ? Quel est le transporteur qui peut organiser 10 000 transferts en peu de temps ? Bien entendu, il faut faire quelque chose pour ces malades. Une commande de radiothérapie a été lancée. Des appareils vont arriver. D'autres sont en cours d'installation. Il s'agit de savoir, cependant, si le personnel humain (radiothérapeutes et physiciens nucléaires) existe. Il y a deux ans, nous nous sommes réunis avec le ministre de la Santé et celui de l'Energie.
Nous sommes arrivés à la conclusion que l'Algérie n'a pas formé de physiciens nucléaires. Là aussi, les autorités ont mis la charrue avant les bœufs. C'est comme si le pays achète 54 Boeing 747, mais n'a pas de pilotes.
Quelle est donc la solution, de votre point de vue ?
La solution, c'est d'améliorer le système de santé, c'est de mettre en place la veille sanitaire, c'est le dépistage précoce, c'est la prévention. Les résultats ne seront pas visibles immédiatement, mais ils seront durables.
S. H.


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