L'histoire de ma vie commence comme dans une tragédie, mais qui peut en verser des larmes, si ce n'est celle qui autrefois m'a bercé dans ses bras, durant des années, les plus belles de toute une vie, celles que je ne pourrais remplacer quoi que j'use de mon précieux éclat de célébrité, qui commence à se faner au vu des rides qui dessinent les contours de ma placide figure pâlotte. Mon père riche en connaissances et pauvre en sentiments m'a inculqué le droit de me taire ou celui de me faire gronder, si un mot délié osait sortir, par mégarde, de mes lèvres gercées. Je lui obéissais à la lettre près, tout pour ne pas avoir à me retrouver en pension comme mon cher frère aîné, qui osa ramener un ami de classe jouer à la maison un après-midi, et laissa son cœur, porté par l'envie de liberté, demander à ma mère de le laisser passer les vacances chez ce dernier. Pour mes parents, “les règles sont les règles”, et introduire un intrus dans la demeure familiale et causer trouble à la tranquillité de la maison sont à éviter, car en ayant “un aperçu” du dicton qui dit que “l'herbe est toujours plus verte ailleurs”, on effleure le désir d'émancipation. Ma mère… une femme de loi ! Le plus clair de son temps au cabinet, le crime ne faillait pas quand son devoir de maman la sommait ; et le simple temps libre qui lui était permis la congédiait sur son bureau à travailler sur encore plus de dossiers bonus. Parfois, en plein essor de temps libre, elle savourait un ouvrage, le nez plongé dans un roman policier, loin du silence assommant de cette immense demeure de trois étages. Un si grand espace où parfois je me perdais, des escaliers gigantesques, que je ne cessais d'escalader pour arriver à mon domaine : un étage rien que pour moi. En y repensant aujourd'hui, j'étais bien gâté. Ces ténébreux couloirs ornés de portraits grossiers de mes grands-parents, deux salles de bains que je n'utilisais pas, un robinet qui fuit en m'empêchant de dormir la nuit, une lumière tamisée… mais toujours ce noir qui persiste dans mon cœur meurtri par la peur. Parfois même, j'entendais des voix et voyais des choses étranges de l'ouverture de ma porte, mais cela n'était que mon imagination de jeunot forcée au silence, qui s'abandonnait en chimériques appréhensions. Cloîtré entre quatre beaux murs bleu ciel : “Interdit de descendre !'',‘‘Interdit de se plaindre !” et “Interdit d'appeler les parents aussitôt qu'un cauchemar t'empêche de dormir !”, telles des sentences que la jurisprudence de ma “tendre” et stressée de maman a adjugées à ma place. Je me demandais pourquoi mes amis à l'école ne se comportaient-ils pas de la même manière que moi. Ils avaient les mains sales, le nez plein de morve, la larme facile. Ils étaient légers dans leurs propos, faciles à amuser et surtout libres de faire ce qu'ils veulent ou presque. Etais-je déjà à cet âge conscient de la cage dorée où je m'étais fait proie ? Me laissais-je doucement berner par cet amour factice qui me nourrissait de désarroi ? Je me plaignais en silence et, dans un tumulte de questionnements, je me décide à prendre mon courage à deux mains et demander qu'on me rende mes ailes frêles, que je tombe ou que je me perde, si leur main est déjà loin de mon épaule. Dans tous les cas, je ne pourrais compter que sur… moi. En suis-je capable ? Oui ! Un été chaud comme un gril sur le feu vit mes six ans couronnés de précieux espoirs d'élan et d'autonomie. Je m'élançais à grands bonds comme brisant les barrières des mille et une règles imposées par mes parents. C'était le premier jour des vacances d'été, et une excursion scolaire était organisée pour récompenser les élèves les plus assidus, dont je faisais partie certainement ! Un voyage culturel dans une ville historique, logé et nourri gratuitement, et ne durant que deux jours et une nuit, des notes toujours excellentes, une récompense méritée. “Je préparais mes arguments soigneusement avant de les libérer au vu de mon père qui sortait de la maison pour rejoindre sa voiture.” Cependant, avant d'avoir terminé de prononcer le mot “vacances” qu'une nouvelle explosa à mes oreilles tel un châtiment à mon égoïsme blessant. Mon père me lança les larmes aux yeux, la distance riche entre nos pas, sans s'avancer, le regard baissé, le ton grave, cette terrible nouvelle qui me laissa stupide et honteux : “Ta mère est morte cet après-midi dans un accident de voiture, je pars identifier son corps. Ta tante Wahiba viendra te prendre dans une demi-heure, prépare-toi, je viendrai te chercher plus tard.” Un froid venant de nulle part envahit ma carcasse raide de douleur, je ne pouvais verser des larmes, car mon cœur ne me donnait pas la liberté de me dérober de ma douce et affligeante peine. Je me culpabilisais et me confortais avec si peu, je ne pouvais plus voir clair, les ténèbres en ce jour d'été envahirent mon âme jusqu'à nouvel ordre, et parler d'indépendance équivaut à subir un autre châtiment, ce dont je ne voulais guère avoir à revivre. L'enterrement se fit dans le calme et la sérénité, les larmes ravalées, le semblant face aux voisins “chagrinés” à spéculer des infamies à l'encontre de mon père. Certes la froideur de notre famille bien inaccoutumée rend les sornettes plus concrètes. (À suivre) H. B.