Les éditeurs et responsables de rédaction étaient nombreux, hier, à considérer que les sentences prononcées par le tribunal d'Alger à l'encontre des journalistes de Liberté n'augurent pas des lendemains enchanteurs pour la presse algérienne. Quasi unanimement, ils soutiennent que le président de la République, dans l'optique de la prochaine présidentielle, a décidé d'étouffer les voix susceptibles de le gêner dans sa course effrénée pour un second mandat. Pour Ahmed Fattani, directeur du quotidien L'Expression, cette sentence qui intervient au lendemain de la sortie de Bouteflika à Jijel, où rappelle-t-il, “il a traité la presse de tous les maux”, “n'augure rien de bon”. “Il faut s'attendre à ce que des mesures coercitives tombent sur la presse dans les prochains jours”, observe-t-il. Toutefois, Fattani persiste à considérer que les tentatives de musellement de la presse pour “recrédibiliser” une action politique qui a fait chou blanc “sont vaines.” Les expériences similaires dans le monde ont échoué”, rappelle-t-il à juste titre. Patron du premier quotidien en Algérie, en l'occurrence El Khabar, Ali Djerri soutient, de son côté, que le pouvoir a décidé de mettre en application le code pénal. “Le code pénal qu'on avait dénoncé en son temps est entré aujourd'hui dans sa phase d'application. À vrai dire, on s'y attendait, en raison des enjeux actuels et de la prochaine présidentielle et puis Bouteflika n'a fait qu'appliquer les menaces proférées la veille à Jijel”. “Bouteflika dans sa quête d'un second mandat est prêt à tout, quitte à mettre tous les journalistes en prison. En écoutant son discours, hier, force est de craindre que ce n'est qu'un début”, ajoute-t-il encore. Pour sa part, Youcef Rezzoug, rédacteur en chef au quotidien Le Matin, estime que ces sentences étaient attendues après le discours de Bouteflika dans lequel, dit-il, il a proféré des menaces claires contre la presse. “Il veut liquider cette presse qui le dérange avant l'entame de la campagne pour la présidentielle. Bouteflika a une seule devise : ou tu es avec moi ou tu es contre moi”, dit-il. Cette volonté de Bouteflika de mettre fin à une presse jugée par trop “excentrique”, indocile, à ses yeux, est également relevée par Réda Bekkat, rédacteur en chef du quotidien El Watan. “Avec ces peines prononcées, on est passé à la phase d'exécution de la presse et de la liberté d'expression”. Selon lui, on n'est plus désormais dans la phase des menaces mais dans leur mise en exécution. “C'est inadmissible”, ajoute-t-il encore. Autant que ses confrères, Nasser Belhadjoudja, directeur de la rédaction du Soir d'Algérie, de son côté, entrevoit à travers ces premières sanctions à l'égard d'un confrère un prélude à d'autres mesures plus coercitives dans un avenir proche. “C'est scandaleux dans la mesure où ces sanctions interviennent au lendemain des menaces de Bouteflika. La justice vient de satisfaire ses souhaits. On risque d'assister à des mesures de harcèlements financiers des entreprises de presse car, explique-t-il, Bouteflika ne peut s'accommoder d'une presse qui le dérange, une presse qui a mis à nu ses frasques”. Peu enclin à commenter la décision de justice, H'mida Layachi, directeur de rédaction du journal arabophone El Youm, préfère, quant à lui, situer la problématique dans un cadre global. Selon lui, ce qui arrive, aujourd'hui, à la presse n'est que la conséquence du code pénal et de la démission des formations politiques. Autant il convient, à ses yeux, de voir si les écrits incriminés, à l'origine de la sanction, disposaient de preuves suffisantes pouvant étayer leurs accusations autant il soutient que la presse s'est laissée prendre dans les luttes de clans. “Elle a joué un rôle qui n'est pas le sien et c'est dommage”, conclut-il enfin. K. K.