RESUME : Son père, impassible de nature, tombe en larmes devant les yeux de Karim qui se sent trahi. Tous les enseignements de ce premier seraient erronés, se convainc-t-il en se rappelant la lettre de son frère Khalil, qui exhortait son paternel à se dévoiler. Karim ne sait à qui se fier, on l'abandonne au seuil de la porte, il entend sa jeune cousine Donya balbutier, et est convaincu qu'elle essayait de prononcer son prénom. Il reste à contempler cet immaculé de Dieu, qui lui tendait les bras… Sans rien me demander en retour, ces yeux noirs étincelants étaient purs, innocents et réconfortants. Ma foi, comme on dit d'un nouveau-né : une page blanche. Je décide aussitôt de vouer protection à ce minuscule petit être. Je promis de protéger ce bébé de quiconque lui voudrait du mal, la prendre sous mon aile et faire tout pour que cette page blanche ne soit pas froissée, que ses écrits soient magnanimes, qu'ils prônent l'amour et le pardon, assassinent la haine et la trahison, que cette feuille écorche les doigts des lecteurs pusillanimes, que cette page caresse les rêves et éloigne les soupirs ! Voilà ! Je me suis trouvé un objectif dans la vie : protéger ma frêle et innocente cousine du malheur : de la mystification de l'enfance, des mensonges des adultes, de l'acerbe goût de la vie, de ses déceptions et ses surprises accablantes. Mais surtout et avant tout le pire des châtiments que puisse connaître quelqu'un : la trahison. Ma tante me trouve avec sa petite fille dans les bras, en souriant, me présente à elle, ce qui n'était pas nécessaire, car Donya est si perspicace et courtoise qu'elle n'attend pas qu'on le fasse pour elle. Après le départ de mon père, qui ne pouvait rester déjeuner, je suis monté à l'étage voir la ridicule et exiguë chambre qui allait devenir mon petit coin. Cette pièce n'était pas aussi meublée que la mienne, je n'avais pas cette bibliothèque où tous les livres que je lisais ou ceux que j'entamerai étaient entreposés, il n'y avait certainement pas mon ordinateur, ni mon grand lit, cependant une chose remplaçait tous ces avantages… Il y avait dans cette pièce de la lumière ! Je développais une certaine achluophobie, et l'éclairage m'était salutaire et réconfortant. Le lustre avait à lui seul quatre ampoules — du gaspillage d'électricité ne trouvez-vous pas ? — une lampe de poche dans le tiroir de ma commode, si jamais il y avait une coupure de courant, et une veilleuse pour étudier le soir, et ajoutez à cela une télévision. Une chambre d'éclat ! Je ne pouvais plus être effrayé par les ténèbres du soir, et même si je ne désirais pas dormir, cette télévision, que ma tante me permit d'allumer à n'importe quelle heure et quand j'en avais envie, me rendit fou de joie. Chez nous, les Fahad, lire est le passe-temps le plus lucratif, le plus enrichissant et le plus attrayant qui existe, ce que je trouvais véridique indubitablement. Pourtant, par moments, les ouvrages de mes parents me décourageaient : parler de l'âge d'or, connaître par cœur la guerre d'Algérie, savoir tout de la guerre froide m'aidaient sans doute dans mes études, mais en aucun cas à me faire des amis. En attendant que tante Farah prépare le déjeuner et réveille ses filles pour aller à l'école — il n'était que six heures du matin — j'en ai profité pour regarder un peu cet objet de convoitise que mes camarades adorent, que dis-je, adulent ! Ayant cette boîte carrée comme seul sujet de converse à l'heure de récréation. Ce n'était pas comme si je n'avais jamais vu de ma vie une télé ! Seulement, c'était la première fois qu'on me permettait de voir ce qui m'enchantait, la télécommande en main, et sans père pour me dicter ce que je devais visionner : Cette chaîne Journal TV avait l'éloquence de mes livres et me fusillait d'images qui m'horrifient et heurtent mes yeux, et mon pauvre cœur aussi. Je me dépêche de changer de chaîne. Je zappe sur Zik Channel : étrange ! Est-ce une maladie ou un mal inconnu ? Peut-être une épidémie ? Qu'ont tous ces pauvres gens ? L'un pose sa tête au sol et tournoi telle une toupie — peut-être souffre-t-il de maux de tête, me suis-je dit — son ami marche sur les mains — voulait-il reposer ses jambes un temps, en usant de ses autres membres ? me suis-je interpellé — puis le rythme de la musique change, et les images sont moins claires et paraissent vieilles. Je vois une fille qui se faisait brutaliser, on la lançait en haut, puis en bas, et la faisait tourner, puis tourner, mais elle souriait quand même — elle ne voulait peut-être pas apprendre la leçon de ses bêtises ? me suis-je interloqué. Dans un autre angle, une autre fille qui essayait d'essuyer le sol avec ses pieds, jusqu'à en user les semelles — peut-être avait-elle renversé son verre et ne voulait pas qu'on la gronde, elle aussi, comme sa camarade ? me suis-je convaincu — mais bien plus tard, je sus les noms de ces maux de société qui n'avaient pas de remède et qui étaient très contagieux, respectivement : le hip-hop, la break dance, le rock'n'roll et enfin le twist. Ce qui me semblait barbare était appelé la danse ! Je zappe sur Chérubéro TV : de jolies couleurs, des images qui bougent, c'était de la 2D : des dessins animés. Un chat suit un rat qui lui boit son lait, afin de s'expliquer avec ce dernier. Le vilain rat le frappe avec un marteau avant de s'enfuir. Le chat mécontent revient et reçoit un autre coup, encore et encore. Je ne comprenais pas pourquoi il y avait une telle violence et une injustice déprimante dans des programmes destinés normalement à des enfants. Je prenais en pitié le matou acharné et ne pas désirais pas changer de chaîne, attendant la revanche du minou, qui en avait beaucoup enduré, ce qui n'arriva que dans de rares cas. Certes, la querelle n'avait pas de sens propre, mais les images et la simplicité du scénario me captivèrent — Eh bien quoi ? Je ne suis qu'un simple enfant de six ans ! (À suivre) H. B.