Parlant de “sa” guerre de Libye dimanche dernier devant la Convention du Crif, Bernard-Henry Levy proclame qu'il ne l'aurait pas faite “s'il n'était pas juif”. La révolution libyenne, c'est sa part de guerre israélo-arabe : “J'ai porté en étendard ma fidélité à mon nom et ma fidélité au sionisme et à Israël.” C'est dans le fait qu'“on avait affaire à l'un des pires ennemis d'Israël” que le philosophe avait trouvé la motivation de son engagement en Libye, un engagement qui lui permettait accessoirement de contribuer à “débarrasser le monde d'une de ses pires tyrannies”. Cette “raison impérieuse” qui ne l'a “jamais lâché”, dit-il, surpassait tout repère chez le philosophe, enthousiasmé d'abord par le fait d'en découdre avec un ennemi d'Israël. Si la pertinence du calcul stratégique du philosophe reste plus que discutable, on y apprend tout de même que celui-ci n'a débarqué en Libye que parce que “les droits de l'Homme” des Libyens faisaient, pensait-il, l'affaire du dessein sioniste. Ceci enregistré, il reste à évaluer la part d'opportunisme sioniste dans la participation française, maintenant que l'on connaît les intentions de fond de celui qui a pesé dans la qualité et l'intensité de la contribution française dans la guerre contre Kadhafi. Est-ce à dire que la France et son philosophe stratège se sont tenus à distance des révolutions tunisienne et égyptienne parce que Ben Ali et Moubarak ne comptaient pas “parmi les pires ennemis d'Israël” ? Bien sûr, c'est aux Libyens de reconsidérer le sens politique du rôle de Sarkozy et de son inspirateur dans leur révolution, mais les aveux de BHL posent la question de la sincérité humanitaire du soutien extérieur à la rébellion libyenne. L'arrière-pensée de celui qui leur a offert son soutien et l'appui de son pays “parce qu'il est juif” et parce qu'il voulait faire triompher “l'étendard sioniste” ne devrait, cependant, pas disqualifier la révolution d'un peuple qui a consenti tant de sacrifices clairement dédiés à sa liberté, tout au long de ces mois de lutte. Au demeurant, il n'est pas acquis que les futures autorités libyennes seraient “moins ennemies d'Israël” que Kadhafi. Il y a des chances que les peuples “arabes” libres seraient bien moins ligotés, dans leur soutien à la cause nationale des Palestiniens, que des peuples tenus en laisse par des dictateurs illégitimes, eux-mêmes téléguidés par les puissances sponsors de l'Etat juif. Les Israéliens ont eu à le vérifier avec l'Egypte dès le lendemain du départ de Moubarak. L'ambiguïté stratégique de l'intervention occidentale en Libye ne peut pas discréditer le “Printemps arabe” dans sa pertinence politique et dans sa perspective historique. C'est de bonne guerre que les spéculations du mouvement sioniste et l'opportunisme islamiste, dont on constate, sur le terrain, la convergence stratégique, essaient de remettre en cause le fondement révolutionnaire des insurrections en pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Mais à croire la flamme qui se rallume au Maroc et en Egypte et qui se maintient en Tunisie, en Syrie et au Yémen, le “Printemps arabe” n'a pas encore été corrompu dans sa finalité démocratique. M. H. [email protected]