À peine formé, le nouveau gouvernement d'Abdel Rahim al-Kib, s'est trouvé au centre de critiques de différentes régions libyennes qui estiment avoir été marginalisées. D'ailleurs et comme pour faire avaler la couleuvre, l'annonce de son gouvernement a coïncidé avec la visite du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), à qui Tripoli a confirmé son intention de juger en Libye Seïf al-Islam Kadhafi, le fils du dirigeant déchu arrêté la semaine dernière. Luis Moreno-Ocampo a affirmé que la justice libyenne avait la primauté pour juger Seïf al-Islam, alors que toutes les ONG des droits de l'Homme mettent en garde contre les procès “expéditifs” qui vont avoir lieu à Tripoli. Les Amazighs ont dénoncé leur marginalisation, estimant avoir été exclus des ministères importants et que leur représentativité dans le gouvernement ne correspondait pas à leur présence et leur contribution à la révolution libyenne. Le Congrès amazigh libyen a ainsi appelé les Libyens et les Amazighs en particulier à manifester et à geler provisoirement leur coopération avec le Conseil national de transition (CNT) et le gouvernement de transition. À Benghazi, la ville de l'Est d'où est partie la révolte contre le régime des Kadhafi, des manifestants ont également exprimé leur rejet, estimant que leur ville n'était pas assez représentée. Avis partagé par des représentants des régions du Sud désertique. Le Premier ministre libyen, Abdel Rahim al-Kib, parachuté, certainement pour donner des gages aux Occidentaux sans lesquels jamais Kadhafi n'aurait été inquiété, avait promis un gouvernement de “technocrates”. Finalement, il a dû se résoudre aux réalités tribales de la Libye, réveillées durant la guerre contre le régime de Kadhafi, composer avec les ambitions politiques des insurgés et les rivalités régionales réapparues sur la scène. Alors, il a composé ce gouvernement, certes patchwork mais qui n'a pas pour autant contenté toutes les parties, malgré son assurance d'avoir fait représenter toute la Lybie. Le ministère de la Défense, probablement le plus important alors que le pays doit se doter d'une nouvelle armée, mais surtout acheter de nouvelles armes, en Occident cette fois-ci, échoit à Oussama Jouili, un enseignant devenu chef du Conseil militaire de Zintan (Ouest). Une manière de reconnaître le rôle des combattants du djebel Nefoussa dans la prise de Tripoli, à la fin août. Les “thouars” de Zintan sont également responsables de la capture, samedi dernier, de Seïf al-Islam Kadhafi, fils et ancien successeur désigné du Guide libyen. Abdel Rahim al-Kib a nommé le chef rebelle de Misrata, Faouzi Abdelal, au ministère de l'Intérieur. Sa ville, à 250 km à l'est de Tripoli, fait figure de cité martyre de la révolution. Assiégée durant plusieurs semaines au printemps par les forces kadhafistes, elle a, elle aussi, envoyé des combattants pour la prise de Tripoli. Ce sont également les “thouars” de Misrata qui ont capturé et assassiné Kadhafi le père et son fils Mouatassim à Syrte, le 20 octobre. Surprenant, le ministère des AE est dévolu à Bin Hayal, un diplomate peu connu originaire de Derna (Est). La décision a étonné les pays occidentaux qui s'attendaient à la nomination d'Ibrahim Dabbashi, ambassadeur adjoint aux Nations unies. Autre surprise, Ali Tarhouni est remplacé au ministère du Pétrole et du Gaz par Abdelrahmane ben Yazza, un ancien dirigeant de la compagnie pétrolière italienne ENI ! Apprécié par les Occidentaux, Tarhouni était considéré comme le véritable homme fort du gouvernement intérimaire. Les mouvements islamistes n'ont, eux, obtenu aucun ministère alors qu'ils comptaient imposer Abdelhakim Belhaj, gouverneur militaire de Tripoli, à la Défense. De plus en plus isolé, l'ancien “émir” du Groupe islamique des combattants libyens serait-il en sursis ? Tout s'est déroulé comme si les chefs de guerre se sont partagés le gâteau. Incongrue, dans ce gouvernement, deux femmes ministres : Mabrouka al-Chérif Jibril aux Affaires sociales et Fatma Al-Hamrouch à la Santé. Le CNT, qui avait annoncé la couleur en affirmant que la Libye post-Kadhafi sera islamiste, a dû subir des pressions de son parapluie occidental, notamment la France. D. Bouatta