«Cela ne fait que dix mois qu'on fait de la politique et on est déjà deuxième»: comme Jihane, les militants salafistes d'Al-Nour, ravis et confiants, veulent battre à Alexandrie (nord) les Frères musulmans qui dominent depuis 80 ans le paysage islamiste en Egypte. «Celui qui a foi en Dieu, celui-là est victorieux», ajoute cette mère de famille de 45 ans, en distribuant, drapée dans un niqab noir, les tracts de ces fondamentalistes qui participent pour la première fois à des élections. «On peut faire confiance à un parti comme Al-Nour qui est arrivé aussi vite à ce niveau», lance de son côté Chaïma, 24 ans, en référence au score du parti salafiste qui talonnent les Frères musulmans avec près de 25% des voix, lors de la première phase des législatives. «Si Dieu le veut, nous gagnerons, nous serons devant les Frères musulmans», déclare Ahmed, un militant salafiste. Ici, personne ne veut crier victoire trop vite, on assure que «tout est entre les mains de Dieu». Mais forts de leurs premiers résultats, les salafistes se disent confiants de remporter plusieurs des huit sièges au Parlement en jeu à Alexandrie où est né leur parti en février. Les candidats d'Al-Nour, reconnaissables sur les affiches électorales à leurs longues barbe, sont présents au second tour dans toutes les circonscriptions de la ville. Dans cette ville méditerranéenne, la deuxième du pays, les électeurs ont le choix entre la confrérie islamiste conservatrice et les salafistes, plus radicaux encore, issus notamment de la «Gamaa Islamiya», une organisation longtemps réprimée pour ses actions violentes. «J'hésite encore, j'apprécie le candidat d'Al-Nour en tant que personne, mais le problème c'est que les salafistes ont tendance à se fermer au dialogue et à dire +¿Fais pas ci, fais pas ça, tu dois faire ça...+», explique Ahmed, qui tient une petite boutique dans une ruelle débouchant sur le bord de mer. Les Frères musulmans, présents aussi aux abords des bureaux de vote, l'admettent: Al-Nour (la Lumière), tout juste débarqué dans l'arène politique, est au coude à coude avec leur parti «Liberté et Justice» qui bénéficie pourtant d'une organisation rodée. «C'est un vote vraiment serré, je pense que pour le moment nous sommes à 50/50», dit une jeune militante de la confrérie. Salwa Silmi, les cheveux recouverts par un voile blanc, vote pour les Frères musulmans «parce qu'ils ont une histoire et une expérience politiques, à la différence d'Al-Nour». «Avant, les salafistes disaient que la démocratie c'était haram (péché) mais là tout d'un coup apparemment ça ne l'est plus... » , lance-t-elle goguenarde. «Aujourd'hui on leur reproche d'être nouveaux en politique, mais sous l'ancien régime, les salafistes étaient en prison!», rétorque Soumaya, une étudiante en théologie qui distribue des tracts pour Al-Nour aux abords d'un marché. Khaled el-Houfy est responsable pour le parti Al-Nour d'un bureau de vote dans le quartier populaire de Mountazah. Habillé d'un long caftan marron brodé de fils dorés, il parle en caressant sa barbe noire et fournie. Il tient à évoquer son programme économique, l'instauration de la finance islamique, la «rénovation du tourisme» qu'il espère entamer, les «traditions» islamiques et nationales qu'il faut préserver. Pourtant, quand on interroge Ayman, salafiste convaincu, sur le programme de son parti et en quoi il diffère de celui des Frères musulmans, il assure que ce sont des détails, sinon nous sommes d'accord sur tout. «Au final, nous serons quand même tous gagnants, ce sera forcément un islamiste qui gagnera et ça c'est l'essentiel", renchérit une militante des Frères musulmans.