Jusqu'à la mort de son frère, assassiné en 1994 par les islamistes, Asma Guénifi a vécu à Bachdjarah. Fille d'un cinéaste engagé à gauche et d'une mère, militante au Rassemblement algérien des femmes démocrates (Rafd, refus), elle était étudiante à l'Ecole supérieure des Beaux-Arts d'Alger dont le directeur et son fils ont été emportés par la “tragédie nationale”, l'euphémisme officiel qui voile pudiquement la violence des années 1990. Hicham, jeune ingénieur du son, assassiné, il était difficile pour le reste de la famille de demeurer dans leur banlieue populaire. Cruelle désillusion pour des militants de gauche. C'était l'époque où le ministre des Affaires religieuses réclamait la clémence pour les policiers parce que “ce ne sont pas des communistes”. Sur les recommandations insistantes des proches, tout le monde s'est résigné à l'exil. À 19 ans, Asma s'arrachait à son quartier et à son école pour se retrouver en région parisienne où les réseaux communistes se chargeaient d'accueillir les Algériens fuyant l'intégrisme. Ils ne pouvaient pas aspirer au statut de réfugié politique au motif qu'ils n'étaient pas persécutés par le régime. Pis, ils étaient perçus comme les suppôts de ce régime et désignés en tant que tels. C'était la période glorieuse du “qui tue qui” et Asma s'entendait dire par des “experts” qu'elle se trompait sur l'identité des assassins de son frère. Le malentendu est grave. Avec d'autres jeunes, bannis comme elle de l'Algérie et frappés de suspicion en France, elle crée l'association Hicham et parcourt la France pour dire sa vérité. La tâche sera rude jusqu'en 2001 quand nombre de manipulations ont fondu sous le feu des avions qui ont démoli les tours jumelles de New York. Ce combat contre l'intégrisme conduira ensuite Asma à adhérer en 2003 à l'association Ni Putes Ni Soumises que venait de créer Fadéla Amara. Le mouvement naissait des cendres d'une adolescente, brûlée vive dans sa banlieue par un jeune amoureux éconduit. L'association s'implante dans les médias et les partis politiques mais pas dans les quartiers dont elle véhicule une très mauvaise image des jeunes. L'association sera vilipendée comme “un appareil idéologique de l'Etat” qui veut stigmatiser des banlieues. Sous prétexte de protéger les filles menacées de violence, elle devient complice de la répression. Comme si la violence était le seul fait des jeunes ayant un vague lien avec la religion de leurs parents. Pourtant, toutes les semaines, cinq femmes meurent en France sous les coups de leur conjoint et de leur compagnon, des coupables que NPNS ne voit pas. Elue pour un mandat de quatre ans à la place de Sihem Habchi, Asma Guénifi se lance comme défi de changer l'image du mouvement dans les quartiers. Elle en a les outils : mère de famille, habitante de banlieue et psychologue de profession. Sur l'intégrisme, elle n'a pas changé. Ses idées sont exposées dans un livre publié en juin dernier à Paris : Je ne pardonnerai pas aux assassins de mon frère. A. O.