Le réalisateur tunisien qui avait le projet de faire un film sur Marlon Brando — qu'il a rencontré à plusieurs reprises et s'est entretenu avec lui — revient dans cet entretien sur les détails et les différents clins d'œil qu'on distille dans son dernier film Dima Brando. Liberté : Commençons par la fin de votre film. Lorsque le corps d'Anis est enlevé à sa dulcinée en sanglots, le cortège funèbre passe par un vestige romain. Une sorte d'ultime hommage… Redha Behi : C'est une fin avec plusieurs lectures. J'ai choisi de filmer la scène de son enterrement dans le village qui est un vestige romain, souvent visité par les touristes et favorisé pour les tournages chez certains cinéastes, parce que c'est un endroit de la fin. Il représente le cimetière de nos rêves qui est paradoxalement un endroit exotique pour les étrangers. Ça représente un peu l'ironie de l'histoire. Nos rêves sont enterrés sous le regard exotique des autres. à la fin toujours, vous vous servez d'un verset coranique selon lequel tout ce qui nous arrive est est le fait du destin. Pourquoi ? Chacun comment il l'interprète. Je n'interviendrai pas sur la symbolique. J'ai fait intervenir le Coran à ce moment-là pour l'identité, car le film traite du “moi” et de “l'autre”. Le “moi” c'est le Coran et ce lieu romain c'est tout ce qui représente notre identité. Anis a rendossé son identité au moment de son départ. Votre vision est tout de même empreinte de tolérance… Je ne parle pas de tolérance. Bush a tout chamboulé. Mais moi, ce que je voulais dire, c'est que l'Amérique n'est pas Bush ou Cheney, y a des Marlon Brando. Ça m'a évité de tomber dans leur piège et de montrer que je suis comme Marlon Brando, George Clooney, Sean Penn qui défendent des causes. On ne peut pas les ignorer. Ils sont des partenaires, même s'ils représentent une minorité. Il est plus facile de bloquer l'Occident. J'ai mené ce discours dans mon film Les hirondelles ne meurent pas à Jérusalem, car même chez nous, nous n'avons pas été corrects avec les Palestiniens. Les Palestiniens eux-mêmes ont commis des méchancetés contre des Palestiniens et les musulmans ont causé du tort à beaucoup de musulmans. Et je préfère avoir ce discours-là qui n'est pas un discours de tolérance, mais un discours réaliste qui fait mal certes, mais je préfère le faire que de mettre des slogans égocentriques. Certains extrémistes rejettent ce discours en croyant qu'il y a une trahison à leur cause et une allégeance à l'Occident. Pourtant, Marlon Brando a défendu les Indiens d'Amérique, les Noirs, il s'est révolté contre l'armement de son pays et il a soutenu les Palestiniens, pourquoi alors le caser dans le camp adverse ? En enterrant Anis à la fin, avez-vous enterré également Marlon Brando ? L'essentiel dans cette fin, c'est la dernière phrase. Marlon dit : “Je ne sais pas pourquoi je fais ça mais je le fais bien.” C'est un peu son testament et c'est mon travail à moi. Moi-même, si je fais quelque chose je le fais bien et, malgré sa mort et le manque d'argent, je le fais jusqu'au bout et je finis le film. En tout cas je l'ai appliqué. S. K.