Ankara a rappelé son ambassadeur à Paris, alors que d'autres mesures de rétorsion devaient suivre de la part de la Turquie, qui a protesté après l'adoption par les députés français de la loi pénalisant la négation d'un génocide reconnu par la France. Tout s'est accéléré jeudi lorsque Ankara a rappelé son ambassadeur à Paris, une heure trente après le vote et promis un gel des visites diplomatiques et de sa coopération militaire avec Paris, évoquant des “plaies irréparables” dans les relations franco-turques. L'Arménie, de son côté, a exprimé à la France sa gratitude. Pour rappel, Ankara avait multiplié les mises en garde contre le projet de loi. “Le peuple turc est émotif et il exprime ses réactions”, avait prévenu, le 21 décembre, à la veille du vote de la loi par les députés français, le ministre turc des Affaires européennes, Egemen Bagis, avant de laisser entendre que “les cosmétiques, les parfums, l'habillement” français pourraient être les cibles de la vindicte populaire. En France, plusieurs voix dissonantes se sont fait entendre, y compris au sein du gouvernement. Le ministre de la Défense, Gérard Longuet, a ainsi jugé que les députés n'étaient pas nécessairement les meilleurs historiens, tandis que son collègue de la Culture, Frédéric Mitterrand, déclarait qu'il n'était pas très chaud sur les lois mémorielles. François Bayrou, candidat du Centre aux présidentielles de mai prochain, a estimé que le texte de Nicolas Sarkozy est déraisonnable, voire “dangereux”, craignant qu'enrôlée dans cette affaire, la justice française allait faire flamber les braises. Par contre, la plupart des députés socialistes ont voté la loi de l'UMP, abondant dans son sens ! Leur candidat, François Hollande, s'est contenté de dénoncer une démarche électoraliste. Si l'Arménie a exprimé sa gratitude envers Paris, la Turquie a estimé, par la voix de son Chef de gouvernement, Recep Tayyip Erdogan, que le vote français ouvrait des plaies irréparables et très graves, décrétant la suspension immédiate des visites bilatérales et des exercices militaires conjoints. Pour Volkan Bozkir, le président de la commission des AE de la Chambre des députés turque, la France fait “une erreur de calcul”. Car, à l'inverse des précédentes crises sur cette question, en 2001 et 2006, “les mains de la Turquie ne sont plus liées”. “Sa demande d'adhésion à l'Union européenne est presque stoppée et son économie est une des plus dynamiques du monde”, avec une croissance de 8% au 3e trimestre, a-t-il rappelé, laissant entendre que les entreprises françaises dans l'énergie ou les transports seraient pénalisées. Notamment pour la vente d'avions à Turkish Airlines ou la construction d'une centrale nucléaire, pour laquelle EDF serait sur les rangs. Reste à savoir pourquoi le président français dont le pays est dans une période de marasme économique qui va s'aggraver en début 2012 avec la perte de son triple A annoncée par la première agence de notation mondiale, s'est précipité pour allumer le feu avec un pays, dont il est vrai, il a toujours été réfractaire quant à sa demande d'adhésion à l'UE. Il reste la symbolique de son coup de sang. Le président français s'est attaqué à un grand pays musulman qui frappe à la porte de l'Union européenne et constitue désormais un modèle pour bon nombre de populations arabes. Sur le plan diplomatique, la Turquie a vu son influence s'accroître dans le monde arabo-musulman depuis les Printemps arabes. Et dans l'esprit de Nicolas Sarkozy, s'en prendre à la nouvelle référence de tous les islamistes arabes, c'est caresser dans le sens du poil l'électorat de l'extrême droite française, avec le calcul de le soutirer à Marine le Pen. D. Bouatta