Le roi du Maroc pensait avoir tout ficelé avec ses réformes qui ont abouti à un gouvernement dirigé par des islamistes. Il a vu tout faux. Les manifestations pour la démocratie ont repris notamment dans vitrines du pays, ses capitales politique et économique. “Nous manifestons pour dire que la lutte va continuer malgré le retrait des organisations politiques, qu'elles soient islamistes ou autres ” ; “Nos revendications sont légitimes et elles n'ont pas varié : une monarchie parlementaire et une plus grande justice sociale ” ; “L'actuel gouvernement ne changera rien” ; “Non au cumul de la fortune et du pouvoir”, ont scandé les manifestants à Rabat et Casablanca. La protesta a repris au moment où le nouveau chef du gouvernement marocain, l'islamiste “modéré” Abdelilah Benkirane, dont le parti Justice et développement (PJD) a remporté les législatives à la fin de novembre, s'époumone dans des appels au dialogue. Le Mouvement du 20 février (M20) qui a éclot dans le sillage du printemps arabe et qui a considéré tout le train de réformes engagé par Mohammed VI comme un saupoudrage, voire une diversion sinon un cadeau à l'islamisme institutionnel, le PJD étant depuis une décennie partenaire dans l'édifice du Makhzen, en qualité d'opposant formel, a promis de ne pas s'arrêter dans ses protestations jusqu'à l'établissement d'un vrai processus d'ouverture démocratique pour enfin établir la justice sociale, une revendication de tout le peuple marocain. Le retour des manifestations de rues sous le slogan “Le peuple marocain demande le changement”, en dit long de l'état d'esprit dans le Maroc new-look que les islamistes du PJD avaient pensé avoir renforcé en se coulant dans le moule conçu par Mohammed VI. Une vraie gifle pour Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, à la tête du prochain gouvernement du Maroc, après avoir été déclaré vainqueur du dernier scrutin législatif, avec 107 sièges sur 395 de la Chambre des représentants (1re Chambre du Parlement marocain). Ces marches interviennent alors que la composition du gouvernement dirigé par le chef de file du parti islamiste qui a raflé la mise des réformes du monarque, n'était toujours pas connue. Abdelilah Benkirane avait promis d'en faire l'annonce hier. Nommé fin novembre par le leader du PJD, il aura mis plus de trois semaines pour rassembler “ses futurs coéquipiers” ! C'est dire toutes les tractations qu'il a fallu pour se mettre d'accord sur l'organigramme de son gouvernement et tous les allers et retours que Abdelilah Benkirane a dû effectuer entre le siège de sa formation et le Palais royal. Comme le lui a reproché le M20, le roi du Maroc n'a rien lâché, il est resté le seul maître à bord. Son ouverture n'est que façade et procédures démocratiques. Au moment où le journal bouclait, était attendu la publication du casting de ce gouvernement de cohabitation coaché par les islamistes. À Rabat, il se disait lundi matin que contrairement à l'inflation de ministres annoncés par Ennahda en Tunisie (50 en tout !), le gouvernement PJD serait composé de 15 à 20 départements ministériels et l'Istiqlalien Karim Ghellab était pressenti pour occuper le perchoir, c'est-à-dire devenir le président de la Chambre des représentants. En plus de la réduction des ministres (37 dans le précédent), l'autre grand changement concerne la volonté affichée par Benkirane de voir émerger des figures jeunes. Vérification sera faite si de nouvelles têtes jeunes feront leur apparition. Le Mouvement du 20 février se dit non concerné par cette effervescence et ses leaders seraient mêmes satisfaits de la défection dans ses activités et manifestations publiques du mouvement islamiste Justice et Bienfaisance. C'est la première fois que ceux-ci n'ont pas participé pas à une manifestation lancée par le M20. On ne sait toujours pas très bien pourquoi ils se sont retirés de la contestation menée depuis le début de l'année par les jeunes pour la démocratie, mais ça doit être sûrement pour des raisons de projet de société. M20, un mouvement de jeunes prône les libertés démocratiques adossées aux principes universels alors que Justice et Bienfaisance, à droite du PJD, combat pour une société de type wahhabite. Le divorce entre les deux mouvements a été consommé le 18 décembre dernier en raison de “divergences graves sur plusieurs points”. Al Adl Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance) a plutôt joué un rôle de repoussoir chez les jeunes et les classes moyennes qui avaient adhéré sinon éprouvé de la sympathie pour M20, ce qui a affaibli sa mobilisation. Al Adl Wal Ihsane, toujours illégale car non reconnue par Mohammed VI, créée en 1973 par Abdessalam Yassine, est l'une des plus importantes associations islamistes au Maroc. Elle a adhéré au Mouvement du 20 février dès le début de la contestation démocratique liée au Printemps arabe et était exclue des élections législatives du 25 novembre dernier qui ont ouvert grande la porte au PJD. Al Adl Wal Ihsane aurait pu connaître la même ascension qu'En-Nour en Egypte s'il avait été autorisé à se présenter aux élections. Il aurait même coiffé au poteau Abdelilah Benkirane qui doit, finalement, sa promotion à Mohammed VI. D. Bouatta