Il aura fallu plus d'un mois de tractations pour présenter cet exécutif quadripartite composé outre du PJD, de l'Istiqlal, du Mouvement Populaire (MP), du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS). Si les principaux responsables du parti islamiste ont pris chacun un maroquin de choix, le gouvernement Benkirane ne compte dans ses rangs qu'une seule femme. Une première injustice. Le roi Mohammed VI a étonné plus d'un observateur en procédant mardi à la nomination des membres du nouveau gouvernement. Si comme attendu, le nouvel exécutif est dominé par le Parti Justice et Développement (PJD), vainqueur des élections législatives du 25 novembre dernier, beaucoup ne comprennent pas pourquoi la formation islamiste a, d'emblée, piétiné la nouvelle Constitution marocaine qui consacre la parité hommes-femmes. S'agit-il pour ces islamistes de rester fidèle à leur si mauvaise réputation à l'égard des femmes ? Sont-ils tombés tout simplement dans un piège ? Toujours est-il qu'en plus d'Abdelilah Benkirane, nommé Premier ministre, ce gouvernement de “coalition” compte pas moins de 10 ministres du PJD. Soit plus du tiers du gouvernement. Soit même un peu plus que ce qu'il a obtenu aux élections. Il aura fallu plus d'un mois de tractations pour présenter cet exécutif quadripartite composé outre du PJD, de l'Istiqlal, du Mouvement Populaire (MP), du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS). Et si les ténors du parti islamiste ont tous pris un maroquin de choix à l'image d'Abdellah Baha, ministre d'Etat sans portefeuille, Saâd-Eddine El Othmani, ministre des Affaires étrangères, Mustapha Ramid, ministre de la Justice, ou encore Lahcène Daoudi, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le gouvernement Benkirane a la singularité de ne compter dans ses rangs qu'une seule femme. Et quelle femme ! Il s'agit de Bassima Hakkaoui, une islamiste du PJD qui siège à la Chambre des représentants depuis 2002. Elle a été désignée ministre de la Solidarité, de la femme, de la famille et du développement social. Elle sera, pour l'anecdote, également la première femme ministre voilée du Maroc. Cette présence “symbolique” d'une seule femme ministre au gouvernement vient en pleine contradiction avec “l'esprit et la lettre” de la nouvelle Constitution adoptée en juillet dernier par référendum populaire. En effet, l'article 19 de la nouvelle loi fondamentale marocaine stipule clairement que “l'homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental (…) L'Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes. Il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination”. La Constitution piétinée Comble de l'ironie, c'est Abdelilah Benkirane, le leader (parfois contesté) du PJD, qui avait appelé à voter pour l'actuelle Constitution, à qui il échoit, aujourd'hui, en sa qualité de Premier ministre, la délicate mission de donner corps à ce texte très prometteur sur le plan des libertés au Maroc sans oublier, bien sûr, soit-dit en passant, d'honorer ses nombreuses promesses électorales. C'est dire que la tâche est de longue haleine. Dubitatif, il y a quelques mois, Benkirane s'était même interrogé, on s'en souvient, dans les colonnes de Liberté sur les intentions démocratiques du régime marocain. Question cruciale aujourd'hui : quels sont ses intentions à lui ? Pour de nombreuses femmes à l'image de Khadija Riyadi, c'est déjà un retour en arrière : “La place de la femme dans la politique est censée être un signe de démocratie mais comme on ne vit pas en démocratie, ce n'est pas quelque chose qui me surprend”, tempête la présidente de l'Association marocaine des droits humains (AMDH) à l'annonce du nouveau gouvernement marocain. “Une femme qui va s'occuper essentiellement des femmes comme si l'on craignait par-dessus tout aujourd'hui la mixité au Maroc”, remarque pour sa part, avec pertinence Ibtissame, une militante féministe. Sauvés par le Roi Au-delà de cette régression réelle ou supposée, nombre de Marocains (et surtout des Marocaines qui ont voté, notons-le, plus que les hommes lors des dernières élections) sont amenées à constater à leur détriment que l'heure de la révolution des mœurs politiques tant promises par le Printemps arabe n'a toujours pas sonné au Maroc. S'il y a, en effet, de nouvelles têtes dans ce gouvernement (24 exactement), il y a aussi des “rescapés” comme le “nouveau” ministre marocain de l'Intérieur, Mohand Laensar, l'actuel secrétaire général du Mouvement Populaire (MP) qui était déjà ministre d'Etat dans le gouvernement précédent. Il est très certainement le doyen du gouvernement. Sa première entrée au gouvernement remonte au règne de feu Hassan II en 1981, c'est-à-dire il y a 30 ans ! Dans le sillage de la nomination de cette figure de la politique marocaine, Mohamed Ouzzine (MP), nouveau ministre de la Jeunesse et des Sports qui était secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération dans le précédent gouvernement. Survivant de l'ancien gouvernement également, Abdelaziz Akhannouch, qui reste à son poste de ministre de l'Agriculture et de la Pêche. Cet homme d'affaires qu'on dit milliardaire, originaire du Souss, a récemment quitté le RNI, grand perdant des dernières élections, pour pouvoir rejoindre “l'équipe” gouvernementale. L'ombre d'El Himma, encore et toujours ! La rumeur dit qu'Akhannouch aurait été imposé aux islamistes par le biais du nouveau conseiller (et non moins ami) du roi, Fouad Ali El Himma (encore et toujours lui !) On peut citer aussi, Ahmed Taoufik, qui est ministre des Habous et des Affaires islamiques depuis 2002. Le message est explicite : les affaires religieuses restent l'apanage du “commandeur des croyants”. Driss Dahak, haut fonctionnaire, diplomate, ancien président de la Cour suprême, reste à son poste de secrétaire général du gouvernement qu'il occupe depuis 2008. Sur le front sécuritaire (autre domaine réservé), l'ancien directeur général de la Sûreté nationale, Charqi Draiss, a été nommé ministre délégué auprès de l'Intérieur. Quant à Abdellatif Loudiyi, ministre délégué auprès du Chef du gouvernement chargé de l'Administration et de la Défense nationale, il a été tout, lui aussi, reconduit dans ses fonctions. Il faut signaler, par ailleurs, la nomination de Nizar Baraka (Istiqlal) en qualité de ministre de l'Economie et des Finances, qui n'est autre que le gendre du Premier ministre sortant Abbas el-Fassi. Il y a aussi Nabil Benabdellah, le fringant secrétaire général du PPS qui a été désigné, lui, ministre de l'Habitat et du Logement social. Il avait été ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Photo-souvenir À noter enfin la désignation de Youssef Amrani, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération. Il est l'actuel secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée (UPM), un poste duquel il devrait, en toute logique, démissionner. Sa prise de fonctions en mai dernier à Barcelone, siège de l'UPM, alors qu'il venait de quitter son poste de secrétaire général du ministère marocain des Affaires étrangères avait été présentée comme la première étape du processus de relance de ce projet cher au président français Sarkozy. Enfin, la photo- souvenir du nouveau gouvernement prise à l'issue d'une cérémonie solennelle à la salle du Trône au Palais royal de Rabat en dit long sur cet évènement. Il faut chercher longuement une femme parmi le gouvernement aligné en costume strict autour du Roi et de son fils, le prince-héritier Moulay El Hassan. Un vrai document. M.C.L.