Ce clin d'œil à l'œuvre magistrale de Ludwig Van Beethoven est loin d'être fortuit. Il restitue à merveille mon sentiment s'agissant de la remarquable exposition que ses promoteurs du ministère de la Culture ont déclinée comme une sorte d'hommage aux grands maîtres de la musique classique algérienne. Ce n'est donc pas sans raison si une telle reconnaissance s'offre majestueusement à vos sens telle une symphonie d'un passé authentique autant que d'un présent renouvelé. Le summum de l'émerveillement et de la passion ardente, inspirées le plus souvent par des vestiges, monuments et pratiques artistiques qui restituent des pans importants de la mémoire collective, est assurément au rendez-vous du Palais de la Culture où Khalida Toumi, en maîtresse de céans, a tout prévu pour que sa Nouba soit des plus somptueuses. C'est une épopée millénaire que celle qui a abouti à la musique classique algérienne telle qu'elle est pratiquée et enseignée par les maîtres des écoles de Tlemcen, d'Alger et de Constantine, me confiera Zakia Bencheikh El Hocine, chef de département patrimoine et chorégraphie au ministère de la Culture : “L'exposition Nouba s'attelle à retracer tous les moments forts de cette histoire. Elle apporte tous les éclairages sur cette musique, son origine, ses instruments, ses couleurs, ses traits, autant de réponses à autant de questions en relation avec la réappropriation de toutes ses nuances.” Quelque peu charmé par ce qui est exposé, le visiteur est vite renforcé dans ses convictions par le magnifique mais inégal catalogue réalisé pour la circonstance pour décliner les grandes étapes du patrimoine nous tenant à cœur, les répertoires à l'honneur ainsi que les biographies et présentations des maîtres du genre. Des maîtres dont le mérite singulier est d'avoir su, mieux que quiconque, perpétuer le message musical andalou arrivé de Cordoue en 1236. Ce voyage fut entrepris comme une course de relais par des hommes admirables qui, recevant le mobile d'un maître, la musique andalouse en l'occurrence, préparaient de jeunes disciples qui, à leur tour, continuaient la ronde du temps, le cycle commencé au 13e siècle. Et c'est mon ami le défunt Djelloul Belkalfat qui le soulignait à l'époque où il était président de la société musicale Gharnata de Tlemcen. Comme les troubadours d'autrefois, confiait-il, comme la majorité des chanteurs de tous les pays et de tous les temps, les poètes, les artistes, la plupart des illuminés éloignés des contingences terrestres, ces musiciens-messagers n'étaient pas riches, loin s'en faut. Pour être riche, il faut savoir compter. Eux rêvaient : “Leur vie n'était pas facile. En été, avec les fêtes, les mariages, les circoncisions, les sorties champêtres à la campagne ou aux cascades d'al-Ourit, en compagnie de joyeux compagnons, tout leur paraît prodigue, bien loin des problèmes matériels. Après les beaux jours comme pour la cigale de la fable, l'hiver venait avec son froid rigoureux, son chômage forcé. Le luth, la kouitra et le rebeb, relégués dans un coin, entraient en hibernation. “Cheikh Larbi Bensari, qui aimait plaisanter, rangeait, disait-il, son rebeb au milieu des chapelets d'oignons de la provision d'hiver, transformé bientôt en jardin aérien. Perdus dans l'anonymat de l'oubli et le désert des siècles, ces maîtres ont doit à notre reconnaissance, à toute notre gratitude. Ils ont réussi à arracher au brouillard du temps infini l'un des plus beaux fleurons de notre culture. Il faut les compter, renchérissait mon ami Omar Dib, parmi les bâtisseurs de notre personnalité, de notre entité nationale. À plus forte raison lorsque certains d'entre eux dont la fonction essentielle était de garder et de transmettre le lourd legs culturel n'avaient pas manqué d'être aux premières lignes du front, gravant ainsi dans la mémoire du peuple le souvenir de sa grandeur, et dans la conscience le devoir continuel de la rétablir. (À suivre) A. M.