À chaque dédicace son lot de surprises et de rencontres. Qui nous informent et nous forment parfois. Ainsi, j'étais à la librairie multi-livres de Tizi Ouzou de mon ami Cheikh Omar-il faudrait bien faire son portrait celui-là-, quand je rencontre un lecteur, Mouloud Ounnoughène, neurochirurgien de son état, mais surtout fou de musique qu'il pratique dans un groupe. Il aime tellement la musique qu'il en veut faire profiter les lecteurs. Raison pour laquelle il a publié récemment un très intéressant ouvrage intitulé : Influence de la musique sur le comportement humain. La musique apaise, la musique soulage. Il faudrait donc la prescrire à tous les Algériens. On aura ainsi un peuple apaisé et adouci. De fil en aiguille, Mouloud me parla de Mohamed Iguerbouchène. Il me demanda si je le connaissais. Son nom me disait vaguement quelque chose, mais quoi ? Footballeur ? Je ne pense pas. Je les connais tous. Homme politique ? Possible. Mais y a-t-il encore des hommes politiques en Algérie ? Des bateleurs de la politique, j'en ai vu beaucoup, des charlots de la politique j'en ai vu assez, mais des bêtes politiques, des fauves très rarement. Mon petit doigt, plus tolérant que moi, m'informe qu'il en existe encore. Comme je suis en paix avec moi-même, et ne voulant point fâcher un de mes membres fut-il le plus insignifiant, je fais cette concession qui ne me coûte absolument rien. Oui, il doit y en avoir de grands politiques, des hommes d'Etat qui ont la vision et la vista. Allez à El Alia et vous en trouverez. Nous voilà bien loin d'Iguerbouchène qui est finalement mieux qu'un politique : c'était un grand, très grand musicien. Sa vie semble tirée d'un scénario hollywoodien. Qu'on en juge. Né en 1907 à Aït Ouchen en Kabylie, il grandit à La Casbah. Entretemps, sur les montagnes de sa Kabylie natale, il avait appris à jouer de la flûte. Flûte ! Il avait une telle maestria quand il jouait, juste pour le plaisir, au square Saïd que les passants oubliaient de passer, oubliaient le temps qui passait et restaient là figés d'admiration devant ce rouquin haut comme trois pommes. Un jour, comme dans un conte de fées, un comte écossais mélomane, Fraser Ross, fut subjugué. Il resta à l'écoute du gamin pendant au moins deux heures. Pas une fausse note. La légende dit qu'il s'écria : “Voilà un génie !” Que fit-il ? Un génie algérien ne pouvant s'épanouir en terre de colonisation, il l'emmena en Angleterre. Il l'inscrivit au Norton College, puis au Conservatoire de l'Académie royale de Londres où il eut comme professeur le maestro Levingston. Il apprendra aussi le piano où il devint très vite un maître. Devinette : à cette époque où prodiguait-on les meilleurs cours d'harmonie ? À Vienne. Va alors pour la capitale autrichienne et les cours du professeur Grunfeld. Là il stupéfia tout le monde par son talent et par sa capacité à apprendre très vite le plus dur. “Ce jeune homme est né musicien”, s'est écrié admiratif son prof. Cela a un nom : le génie. Il dirigera alors les plus grands orchestres dans les plus grandes capitales européennes. Musicien accompli, il écrira les musiques de plusieurs grands films dont celle de Pépé le Moko (co-écrite en fait). Il composera également des centaines de chansons pour les vedettes de l'époque dont les moindres ne sont pas Salim Lahlali et Bob Azzam. On raconte que plus de 600 de ses compositions sont aux quatre coins du monde. Après avoir été consacré par le monde entier, Iguerbouchène reviendra en Algérie pour donner le meilleur de son art à la RTA. Il n'avait même pas la soixantaine quand la faucheuse l'a emporté. L'Algérie de Boumediène qui n'aimait pas les hommes libres l'a laissé mourir de sa mort d'artiste qui ne chantait ni la Révolution agraire, ni la GSE. Eux sont passés. Iguerbouchène est resté. Parce que les artistes qui ne vendent pas leur âme ont comme récompense l'éternité. H. G. [email protected]