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Des lapins dans le bureau du compositeur
Mohamed Iguerbouchene
Publié dans Le Temps d'Algérie le 21 - 11 - 2009

A chaque anniversaire de sa mort ou de sa naissance, on parle de lui. Lui, c'est Mohamed Iguerbouchene, le compositeur dont le génie ne fut reconnu en son pays que bien longtemps après sa mort. L'histoire de sa vie est tellement riche que tous ceux qui s'y sont intéressés ne sont pas encore arrivés à l'écrire.
Né le 19 novembre 1907 à Aït Ouchen, Mohamed Iguerbouchene est arrivé alors qu'il était tout petit à la Casbah d'Alger. Le voyage de Kabylie vers Alger n'était qu'un premier bond dans la vie du petit génie qui allait voyager à travers plusieurs pays et devenir l'un plus grands compositeurs du 20e siècle.
Reconnu comme un grand compositeur et chef d'orchestre en Europe, Mohamed Iguerbouchene qui avait composé des musiques de films tournés en Algérie, en Europe et à Hollywood avait préféré passer ses dernières années à Alger afin de savourer la joie de l'indépendance et offrir son savoir aux Algériens.
La prédiction de cheikh El Mahdjoub
Alors qu'il était tout petit, ses parents, qui avaient peur pour lui à cause peut-être du mauvais œil, l'ont emmené à Médéa chez le wali cheikh El Mahdjoub (grand-père, à la fois, de Mahboub Bati et de Mahboub Stambouli). Le saint homme qui était connu pour ses prédictions déclara à la vue du bel enfant qu'«il voyagera et sera un homme de valeur».
Le long itinéraire d'Iguerbouchene montrera qu'El Mahdjoub avait vu juste. Alors qu'il n'a que 12 ans, l'enfant commence sérieusement à apprendre la musique en prenant des cours de solfège et de piano. Le petit rouquin qui plaisait à tout le monde a attiré l'attention d'un comte et commandant écossais nommé Fraser Ross qui demanda à son père de le lui confier. Après des hésitations, l'enfant fut pris en charge par le comte écossais qui l'emmena avec lui en Angleterre.
Le génie reconnu
Mohamed Iguerbouchene s'inscrit au Norton College puis au conservatoire de l'Académie royale de Londres dans la classe du professeur Levingston.
La mémoire, le don et l'amour pour la musique du jeune Mohamed Iguerbouchene ne tarderont pas à donner des résultats. Cela se passait au début des années vingt. En 1924, le jeune ira à Vienne pour suivre les cours d'harmonie chez le professeur Alfred Grunfeld.
Lors de son examen en public, Iguerbouchene est appelé à diriger un orchestre de 80 musiciens. A la fin du concert, le président du jury lui demande s'il n'a pas remarqué une anomalie et le jeune prodige algérien répondit sous les applaudissements :
«Le 4e fil du violon du musicien de la 3e rangée est légèrement désaccordé.» Le génie d'Iguerbouchene allait le mener à diriger les plus grands orchestres de l'époque. Le 11 juin 1925, il donne un concert à Bregenz sur le lac de Constance en Autriche, alors que son âge ne dépassait pas 18 ans.
Il y présente deux de ses compositions, la Rhapsodie arabe No 7 et la Rhapsodie kabyle No 9. En 1928, il présente les Rhapsodies 3, 4, et 5 devant le public de Londres. La même année, venu en Algérie pour assister aux obsèques de ses parents, on lui propose de composer la musique du film Aziza et L'homme bleu tourné au Sahara.
Les grands cinéastes lui font appel
Il collaborera pendant plusieurs années avec la radio anglaise BBC puis l'ORTF où il est appelé à animer une émission hebdomadaire intitulée «Les trésors de la musique».
En 1937, il coécrit avec Vincent Scotto la musique du film Pépé le Moko de Duvivier avec comme acteur principal Jean Gabin, puis compose la musique de Kaddour à Paris d'André Sarouy.
Il réalisera par la suite une série de concertos, rhapsodies et musiques de chansons. C'est également en 1937 qu'il est admis comme membre de la société des auteurs compositeurs, et c'est lui qui conseillera le chanteur Mohamed Abdelwahab d'y adhérer.
Le pianiste préféré de Hitler
Bien qu'Iguerbouchene ait vécu les années trente et quarante en Europe, son amour pour l'Algérie ne l'a jamais quitté.
D'ailleurs, c'est sur une demande de responsables politiques algériens qu'il s'est rapproché (lui et le chef du mouvement scout Mohamed Bouras) des autorités allemandes au début des années 1940.
Grâce à son talent, Iguerbouchene est devenu le pianiste préféré de Hitler qui l'a invité à vivre dans son palais pendant une longue période. Il faut rappeler que ce rapprochement de Bouras et Iguerbouchene des nazis était planifié contre la France.
Ce grand musicien fut également appelé en 1956 par un des chefs du FLN à retourner en Algérie pour servir la révolution. D'ailleurs ses relations avec des personnalités françaises auraient beaucoup servi la révolution. Il a même caché des militants de l'OCFLN (dont mon père) dans sa maison du Beau Fraisier à Bouzaréah.
Culture générale
C'est dans cette maison qu'il invitait chaque semaine des personnalités et des universitaires. Les invités d'Iguerbouchene lui posaient des questions de culture générale et il se faisait un plaisir à répondre à toutes leurs questions.
A cette époque et jusqu'à la fin de sa vie (le 21 août 1966), il a produit et présenté des émissions radiophoniques dont l'objectif était la vulgarisation de la musique arabe et berbère dans toutes ses diversités. Il a composé des centaines de musiques pour les chanteurs de l'époque tels que Salim H'lali, Badreddine Bouroubi, Slimane Azem et Bob Azzam.
Il a composé les musiques de fond de l'émission «Rachda ouel gouala» de Mahboub Stambouli. Une cinquantaine de chansons, deux opérettes et deux émissions radiophoniques écrites par cet auteur ont été également composées par Iguerbouchene.
Il est à signaler qu'une bonne partie des compositions musicales de Mohamed Iguerbouchene a été plagiée par nos musiciens, et on oublie souvent de le citer lors de la présentation des chansons qu'il a composées.
En parallèle à son travail à la RTA, le grand pianiste et compositeur était professeur de musique à l'école normale d'instituteurs de Bouzaréah. De son passage à l'école normale, on retiendra le zéro qu'il a donné à notre ami journaliste et chroniqueur Mohamed Bouhamidi.
La jalousie des uns, l'ignorance des autres
Mohamed Iguerbouchene, dont la plupart de l'œuvre se trouve en Europe notamment en France et en Angleterre, a beaucoup souffert de la jalousie et l'ignorance de son entourage. Un de nos musiciens disait de lui qu'«il n'avait pas des mains de pianiste».
Ce musicien passé par l'école de la routine se croyait plus fort que tous les chefs d'orchestre et critiques d'Europe qui avaient salué le grand talent de celui qu'on avait surnommé Igor. Dans les années 1970, un de ses meilleurs amis, qui est allé revoir le bureau de travail d'Iguerbouchene à Bouzaréah, est revenu les larmes aux yeux : on y élevait des lapins !


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