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Souffles…
Quatre lettres dans une boîte postale scellée
Publié dans Liberté le 26 - 01 - 2012


(Première lettre)
Dès que je pense à la place sociale, culturelle et politique qu'occupent les concepts suivants : diversité, identité, langue et religion, en Algérie et dans le Monde arabe d'aujourd'hui, quelque chose m'effraie. Et j'ai peur. Certes, nous sommes fiers par notre diversité linguistique : nous étions, et nous le sommes toujours, bercés dans au moins quatre langues : l'arabe algérien (la langue de ma mère), le berbère (langue des Algériens), l'arabe littéraire (langue d'école butin de l'islam) et le français (langue d'usage quotidien et butin de guerre contre le colonialisme). Nous sommes des êtres historiques aux quatre langues ! Et on a un beau soleil. Et une terre qui fait quatre fois la superficie de la France. Le plus grand pays africain. Et on a de bonnes dattes. Et un bon vin. Et on a un grand malaise. Certes, être le fils ou l'arrière-petit-fils littéraire et linguistique de Kateb Yacine (maître de Nedjma), ou de Cheikh Mohand Ou M'hand (Amokran Achchouara prince des poètes kabyles), ou de Moufdi Zakariya (maître de l'hymne national décédé en exil) ou d'Abdallah Ben-Kriyou (seigneur des poètes populaires), c'est un don du ciel et une fierté historique et intellectuelle. Linguistiquement parlant, nous sommes le Peuple élu ! On a tout ce qu'il faut, et un peu plus, on a la langue du lait maternel à la bouche, la langue du paradis dans le cœur et la langue du rêve algérien dans de beaux romans. Mais, chers écrivains, vous qui êtes les saints-maudits bergers des langues, vous qui êtes les gardiens des langues des oiseaux du nord, les chasseurs de papillons, permettez-moi de vous dire : j'ai peur. Oui, même le riche, comme moi, a peur. Ce qui m'entoure m'interpelle : entre ces perles linguistiques et langagières constituant le trésor inestimable de ce pays, se cache-t-il un conflit ou une cohabitation ? Ce qui m'entoure m'interpelle :
Première lettre : au Poète Cheikh Si Mohand Ou M'hand : Assegaz umarbuh 2961
Je me réveille, cinquante ans après l'indépendance, et comme chaque matin je revois les mêmes scènes du même cauchemar, ainsi le cheikh Muhand ou M'hand me demande : comment se comporte-elle la poésie tamazight ? Je touche à ma langue. Et je dis au maître : Je suis ton arrière-petit-fils, mais je ne te comprends pas. Ils m'ont coupé la langue du lait maternel. La langue dans laquelle tu as fait vibrer tes mots et tes vers célébrant l'amour, les femmes, le haschisch, les voyages et le vagabondage, l'éloge à Dieu et à son Prophète, cette langue n'a même pas d'alphabet unifié et convenu. Elle marche pieds nus. Les uns cherchent à l'écrire de droite à gauche, les autres de gauche à droite, les autres de haut vers le bas. Et d'autres la négligent, la violent. Penser, repenser ou revendiquer ta langue, cher Cheikh Si Mohand Ou M'hand, Amokran Achchouara, “on n'est pas en face d'un problème racial mais plutôt d'un problème culturel et politique et la revendication linguistique doit être liée à la revendication démocratique”.
(à suivre)
A. Z.
[email protected]


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