Les propos optimistes de Mohamed Benmeradi, lundi, tranchent avec les doutes affichés jeudi au Maroc par Carlos Ghosn. Affirmer à partir du Maroc, où il inaugure en grande pompe une usine, que son projet en Algérie est virtuel et qu'en plus il ferait obstacle à un éventuel concurrent, le P-DG de Renault a fait fort. La plume trempée dans l'encre de l'indignation, certains commentateurs se sont offusqués de cette atteinte à la souveraineté nationale de la part de Carlos Ghosn, formulée de surcroît sur le territoire de l'ennemi intime. Sur la toile, des représailles sont mêmes souhaitées par des internautes appelant à boycotter la marque au losange qui réalise les meilleures ventes sur le marché algérien. L'indignation s'est ajoutée à l'incompréhension puisque le ministre de l'Industrie et le “Monsieur Algérie”, Jean-Pierre Raffarin, ont affiché un optimisme certain. Les espérances sont ainsi douchées et les chances de voir une usine Renault en Algérie apparaissent plus que jamais amoindries. Précisons d'abord que l'Etat français ne détient que 15% des parts dans le capital du premier constructeur hexagonal. Ce qui rend improbable une injonction du pouvoir politique s'il en a la volonté. D'autant plus improbable que le marché de l'automobile, fortement concurrentiel, comporte donc de grands risques pour les investissements. Si les relais de croissance se trouvent dans l'abaissement des coûts de production rendus possibles par la délocalisation, celle-ci apparaît inopportune dans la conjoncture politique actuelle. L'ouverture de l'usine de Tanger s'est traduite par un concert de protestations au moment où le “produire en France” revient au centre des thèmes de la campagne pour l'élection présidentielle. Même la droite s'y est jointe sans craindre le ridicule alors qu'elle exerce un pouvoir sans partage depuis dix ans. “Cette annonce est tout à fait insupportable voire scandaleuse (...) C'est un comportement amoral !” a ainsi déploré l'ancien ministre de l'Industrie UMP Christian Estrosi, qui avait d'ailleurs protesté en vain en 2010, après l'annonce d'un possible développement de la production de Renault en Turquie. Un point de vue partagé par l'ancien président UMP du Sénat, Gérard Larcher, qui a déclaré avoir “envie que Renault produise aussi en France” et “avec des sous-traitants français”. Le Parti socialiste, qui milite pour la réindustrialisation de la France pour sortir de la crise économique, a estimé que le constructeur et l”Etat n'ont pas respecté leurs engagements en échange de l'aide financière qui leur avait été accordée au plus fort de la crise en 2009. Il rappelle ainsi que le gouvernement avait imposé aux constructeurs “le maintien de la production automobile en France”. Le PS ajoute que “cette stratégie qui engendrera l'arrivée des modèles fabriqués sur ces marchés locaux pourrait porter préjudice au marché hexagonal, au moment où le pays a enregistré un déficit commercial record”. Le tir de barrage a obligé les dirigeants de Renault à des justifications publiques. Chaque voiture fabriquée à Tanger “rapportera 800 euros à la France parce qu'il y a 400 euros de pièces livrées depuis la France et 400 euros d'ingénierie” dans l'Hexagone, a rassuré Carlos Tavares, le numéro 2 du groupe automobile. “C'est bien les véhicules à bas prix qui nous permettent de générer du profit”, a-t-il encore plaidé sans oublier de rappeler que l'entreprise détenue à 15% par l'Etat “est très fragile au niveau de sa rentabilité”. “Indirectement, cette implantation va rendre plus favorable des contrats avec d'autres secteurs”, a complété le jour J, Carlos Ghosn. Sur fond de ce retour du protectionnisme, il est difficile pour Renaull de défendre une nouvelle implantation d'usine à l'étranger. Faut-il alors classer les propos de M. Ghosn sur le projet de Bellara dans le registre de la ruse ? La réponse sera connue d'ici l'été, lorsque les Français auront élu leur président en mai, puis les députés en juin. Si elles se poursuivent, les négociations vont se dérouler dans la discrétion. Pour autant, les divergences sont réelles et la plus importante porte sur le choix du site de Bellara en voie d'aménagement mais enclavé du point de vue du partenaire français. Avant même de construire l'usine de Tanger, Renault lorgnait sur la zone industrielle de Rouiba, siège de la SNVI. La proximité de la capitale, les conditions de sécurité pour le personnel expatrié, qui a aussi besoin d'une vie sociale, en sont les principaux atouts. Y S.