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Excédent de la balance commerciale : l'arbre qui cache la forêt
Publié dans Liberté le 15 - 02 - 2012

On a généralement tendance à ne retenir que les chiffres qui nous rassurent, en économie comme pour le reste. Il en est ainsi de ceux relatifs aux échanges commerciaux. Que disent les statistiques douanières du Centre national de l'informatique et des statistiques (CNIS) ? Notre balance commerciale pour 2011 a été excédentaire de 26,93 milliards de dollars, soit une hausse de 62,46 % par rapport aux 16,58 milliards enregistrés en 2010. Les exportations ont atteint 73,39 milliards de dollars en 2011, contre 57,05 milliards en 2010, soit une progression de 28,63 % alors que le FMI avait prévu des exportations moindres de l'ordre de 67,1 milliards de dollars. En même temps, les importations ont fortement augmenté de 14,78 % à 46,45 milliards de dollars, contre 40,47 milliards l'année précédente, mais beaucoup moins que les prévisions du FMI qui avaient annoncé des importations de 57,6 milliards de dollars avec un excédent commercial de seulement 9,5 milliards de dollars.
Mais en vérité, ces chiffres cités dans le cas de l'Algérie, pour positifs qu'ils soient à première vue, sont fortement démobilisateurs. Ainsi, une balance commerciale déficitaire ne veut pas forcément dire que le pays concerné connaît de grandes difficultés économiques.
C'est par exemple le cas de la Turquie qui, en dépit d'une balance commerciale déficitaire et d'une balance de paiements tendue, réalise un taux de croissance à deux chiffres depuis plus d'une décennie.
En revanche, un excédent, même récurrent, de la balance commerciale peut cacher des difficultés économiques conjoncturelles ou même structurelles. C'est le cas de notre pays, qui est installé dans un trend de croissance molle et n'arrive pas encore à augmenter et à diversifier ses exportations hors hydrocarbures, qui ont atteint péniblement 2,15 milliards de dollars en 2011.Bien plus préoccupant, une part importante de la croissance est tirée par les activités commerciales induites par les importations massives de produits finis ainsi que de consommables alimentaires et non alimentaires. C'est en tout cas ce qui ressort nettement du recensement économique 2011 réalisé par l'ONS, qui relève que le secteur tertiaire représente 90% des entreprises en activité avec 853 800 entités dont 528 328 sont des commerces de détail et de gros. La comparaison avec un secteur pourtant en forte croissance, celui du BTPH, est édifiante à ce propos. Ainsi, le recensement fait ressortir le très faible nombre d'entreprises du BTPH : 8 746 entreprises, soit 0,9% de l'ensemble des entreprises en activité, c'est-à-dire près de 100 fois moins que le nombre des entreprises du secteur tertiaire. Quant au nombre des entreprises industrielles, il est de 97 202, c'est-à-dire 9 fois moins que le nombre des entreprises en activité dans le secteur tertiaire. C'est bien là le signe d'une désindustrialisation avancée.Mais la préoccupation conjoncturelle la plus forte, s'agissant de l'explosion des importations, a été exprimée par Abdelhamid Zerguine, P-DG de la Sonatrach, lors de sa conférence de presse du 7 février 2011. Il a donné des chiffres d'importations de produits raffinés très inquiétants : “Le volume des importations a atteint 2,3 millions de tonnes en 2011 contre 1,3 million de tonnes en 2010, soit 77% d'augmentation environ, dont 1,3 million de tonnes de gas oil contre 380 000 tonnes en 2010, soit une augmentation de 242 %, 390 000 tonnes d'essence et 220 000 tonnes de bitumes.” Pour ma part, je considère que ces augmentations massives d'importations de produits raffinés ne sont pas dues seulement aux arrêts programmés des raffineries locales ni à la seule croissance des autres secteurs. Elles sont surtout dues au gaspillage du fait d'une tarification inappropriée, voire laxiste, ayant comme conséquence collatérale une fuite des produits aux frontières du fait des prix relatifs pratiqués par les pays voisins. Le traitement de cette situation intenable à terme doit être relié à l'inévitable révision des modèles de consommation énergétique mais aussi alimentaire, par le biais de la tarification et d'un soutien direct aux ménages et aux activités vulnérables. Sans quoi c'est une hémorragie qui ne s'arrêtera que lorsque les soutiens de prix massifs ne pourront plus être financés par le canal budgétaire. À l'évidence, les marges de manœuvre sont d'autant plus étroites et datées que l'adhésion prochaine à l'OMC va inévitablement imprimer une propension plus grande à importer.
En effet, il faut savoir qu'en termes de flux, les institutions de Bretton Woods fixaient récemment, pour l'Algérie, l'asymptote d'équilibre budgétaire réel à 100 dollars le baril (référence d'assiette pour la fiscalité pétrolière). En stock, compte tenu notamment des ressources du Fonds de régulation des réserves (FRR) et de l'inertie dans la consommation budgétaire, cela tournerait probablement autour de 80 dollars le baril. Or les marges d'incertitude en matière de prix des hydrocarbures peuvent varier de façon vraisemblable entre les deux repères cités plus haut.
Nous sommes alors déjà entrés dans le champ des possibles en matière d'endettement potentiel, y compris pour financer des déficits budgétaires probables. Le contexte en la matière sera encore plus difficile que celui qu'a connu le pays dans la décennie 90, comme en témoignent les effets des crises des dettes souveraines européennes. Ce n'est certainement pas la fluctuation marginale du dinar à la baisse qui va infléchir, de façon significative et dans la bonne direction, le régime de notre commerce extérieur. Ni d'ailleurs l'extension et la prolongation des seules mesures de protection. C'est le dynamisme de l'économie réelle qui le fera. Alors au lieu de se satisfaire des bons résultats apparents de la balance commerciale, il faudra revisiter sérieusement notre modèle de croissance fragilisée structurellement par sa seule variable exogène d'ajustement : le prix du baril de pétrole. Je conclus par une seule note positive, celle de la levée des taxes imposées par l'Union européenne à l'entrée des engrais algériens sur son marché. À la veille de la mise en service de capacités importantes de production en la matière et dans la perspective d'une croissance forte cette filière en Algérie, elle est pour le moment la seule bonne nouvelle. En attendant d‘autres qui viendraient aussi du secteur industriel.
M. M.


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