Elle avait un peu plus de 16 ans, un âge où on croque la vie à pleines dents, où l'insouciance des aléas du quotidien le dispute aux rêves les plus fous. Un âge, enfin, où la témérité autorise toutes les lubies. Katia Bengana, jeune d'El-Kseur, près de Béjaïa, assassinée il y a 18 ans par des islamistes dans la commune de Meftah, à une cinquantaine de km dans la banlieue est d'Alger, restera pour longtemps comme l'icône, le repère, la voie de ces jeunes filles qui ont refusé de céder au diktat de la vague verte qui a déferlé sur les rivages du pays au début des années 1990. Elle fait figure désormais de ces femmes courages, ces résistantes, ces martyres qui ont refusé d'obtempérer à la régression, en refusant de porter le voile islamique. “Plutôt mourir que porter le hijab !”, aurait-elle confié à sa sœur. Excellente élève, selon les témoignages de ses proches, Katia était constamment menacée par une bande d'islamistes qui la menaçait sur le chemin de son lycée. Mais elle affichait une détermination et un courage sans pareil qui ont fini par susciter même l'admiration de ses professeurs dans cette ville déclarée “territoire libéré” par les islamistes. Cette attitude lui sera pourtant fatale : elle sera froidement et lâchement assassinée, sur le chemin du lycée, le 28 février 1994. Elle venait de s'ajouter à une longue liste des martyrs de l'intolérance dont Kamel Amzal, assassiné en novembre 1982 à la cité universitaire de Ben Aknoun par une bande d'intégristes alors qu'il collait une affiche appelant à une AG d'un comité autonome, le célèbre journaliste Tahar Djaout, assassiné le 26 mai 1993 près de chez lui à Baïnem, ou encore l'éminent psychiatre Mahfoud Boucebci tué trois semaines plus tard, au mois de juin 1993. Aujourd'hui encore, en dehors de ses proches et de quelques poches de résistance, son pays ne lui a toujours pas rendu justice. La réconciliation nationale, ajoutée à l'amnésie, ne s'accommodant pas des hommages aux “empêcheurs de penser en rond”. Mais pas partout. Dans le département de l'Isère, en France, le maire de Villefontaine a baptisé, il y a une année, une des rues de cette petite ville du nom de Katia Bengana, un geste de reconnaissance à ce symbole de résistance. Mais surtout pour que nul n'oublie, soutient Mustapha Hadjal, invité lors de l'inauguration de la plaque commémorative. “Katia voulait être digne, mais surtout vivre libre”, a-t-il témoigné dans un court discours en présence du maire, Raymond Fessaguet. “Notre espoir est que l'histoire se penchera un jour sur cette période noire de l'Algérie qui a vu la fine fleur décapitée au nom de l'idéologie intégriste”, a-t-il dit. Un espoir. Simplement. K K