Il y a des habitudes qui ont la peau tellement dure qu'elles finissent par coller aux basques toute la vie. Ainsi en est-il, par exemple, de la place Carnot à Sidi Bel-Abbès. Tout le monde sait qu'elle a été débaptisée, et pourtant tout le monde continue de l'appeler Carnot. Pour aller vite, sûrement, et peut-être pour une raison facile à expliquer, c'est un point de repère et d'orientation en ville, comme Audin à Alger. On ne peut pas se tromper, et encore moins la rater. Pour la petite histoire, c'est ici que les colons organisaient leur bal du samedi soir et leur fête du 14 Juillet, sous les flonflons d'un orchestre généralement bien éméché. Centre topographique de la cité, Carnot est devenue par la force des choses son tamtam, la réplique de ce qui se raconte et son écho dans la vallée de la Mekerra. En fait, cette esplanade a toujours servi de foire aux cancans, de souk aux ragots et de supérette à l'intox en paquet, en détail et en gros. Les badauds viennent y changer des tuyaux contre des conseils, des conseils contre des nouvelles et des rumeurs contre des rumeurs après avoir semé du vent. Mais d'où sortent tous ces babillards qui ont manifestement du temps à perdre et qui ont fait la réputation sulfureuse de cette place ? Des cafés maures qui la jouxtent évidement, du marché qui lui fait face et des nombreux plaideurs qui n'ont pas eu gain de cause et qui sortent aigris du tribunal, à quelques mètres seulement de là. M. M.