Je pense que beaucoup de mes compatriotes ont eu le même soupir que moi. Ils devaient être nombreux à fantasmer, en regardant les images d'un Chevardnadze détalant devant la vague de Géorgiens qui envahissaient gaiement les travées de l'assemblée nationale, sur leur “révolution de velours.” On rêve d'un président qui partirait quand on ne voudrait plus de lui. Il faut dire que l'ancien ministre des Affaires étrangères de Gorbatchev ne constitue pas le meilleur exemple : il a fallu un inutile état d'urgence suivi d'un déferlement populaire sur la capitale pour qu'il se rende à l'évidence que les Géorgiens étaient décidés à ne pas se laisser diriger par un président “élu” par la fraude. Chevardnadze n'a pas toujours été impopulaire et cela n'a pas empêché, le moment venu, sa chute. Il n'y a que chez nous que des hommes se font parfois plus estimables que la patrie et exigent de nous une vénération sans rapport avec leur fictif talent ou leur virtuelle utilité. J'ignore le mystère de cette déférence qui fait qu'une nation peut être, sans motif, assujettie au devoir de célébrer massivement un homme. Là-bas, on se déplace massivement vers la capitale pour en expulser le président coupable, ici c'est le dirigeant qui court les campagnes pour nous rassembler pour les nécessaires séances de vivats, placebos légitimant pour les indus occupants du pouvoir. Un 14 juin 2001, un mouvement citoyen, dont les animateurs devenus ses dirigeants sont aujourd'hui gagnés par le vertige des sommets à la seule idée d'aller y parler à quelques têtes, marchait sur Alger pour déposer symboliquement sa plate-forme à la présidence ; on se rappelle l'accueil qui lui fut réservé ce jour où le régime, en plus de sa brutalité naturelle, fit vraiment feu de tout bois : montages télévisuels, mobilisation des délinquants, exhortation des jeunes des quartiers à défendre “leur” ville, etc. Il n'y a pas de doute : le système tient par sa capacité à monter les uns contre les autres des Algériens, qui pourtant, le désapprouvent tous. Alors comme on regarde Zidane pour se consoler de Hadj Adlane, on regarde partir Chevardnadze pour nous consoler de notre impuissance à changer même ce que nous voudrions changer : ceux que nous voudrions changer. Notre impuissance à nous changer, en fait. L'actualité politique est aux Algériens “impliqués” ce que la tele reality est à l'Algérien “branché” : un dérivatif contre l'impossibilité, prouvée par des milliers de cadavres, d'une évolution politique pacifique de notre pays. Et l'on se surprend à rêver d'un peuple qui manifeste sa volonté sans violence, mais avec résolution, à un président qui enfin s'en va à cause de nous : comme à la télé . M. H.