De quels arguments a usé le ministre russe des affaires étrangères pour convaincre Edouard Chevardnadzé de céder le pouvoir à l'opposition, alors qu'il s'accrochait à son poste depuis plusieurs jours ? Alors qu'il semblait accroché à son fauteuil présidentiel, le président géorgien cède dès la seconde réunion avec le chef de la diplomatie russe. Rien n'indiquait qu'Edouard Chevardnadzé, qui excluait la possibilité de son départ du pouvoir quelques heures seulement avant sa rencontre avec le ministre russe des Affaires étrangères, ne lâche prise aussi rapidement. Contre toute attente, l'homme qui a dominé la vie politique géorgienne durant les trente dernières années, a abdiqué devant Igor Ivanov. Même s'il n'a pas donné instruction à l'armée d'utiliser la force contre l'opposition et le peuple, l'argument avancé par Chevardnadzé pour justifier sa démission surprise, à savoir éviter que le sang des Géorgiens coule, est peu convaincant. Il faut plutôt chercher des arguments dont a eu recours le ministre russe pour le pousser à abdiquer aussi rapidement. En effet, l'envoyé spécial de Vladimir Poutine a dû user d'arguments massues pour obtenir ce départ en un temps record. C'est dans la soirée même de son arrivée à Tbilissi qu'Igor Ivanov a arraché cette concession de taille, alors que l'opposition s'est attelée par tous les moyens pendant une semaine à essayer de le convaincre, en vain. Cela étant, reste à savoir maintenant comment vont évoluer les choses dans ce pays à la position géographique hautement stratégique, d'où l'intérêt que lui accorde les Etats-Unis. Washington, qui a salué “la sage décision” d'Edouard Chevardnadzé, ne tardera sûrement pas à dépêcher sur les lieux son secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, dont la visite a été déjà annoncée par le département d'Etat. Devancé d'une longueur après le succès diplomatique d'Igor Ivanov à Tbilissi, l'administration Bush mettra les bouchées doubles pour rattraper son retard. Les quarante-cinq jours donnés à la présidente par intérim, Nino Bourdjanadzé, pour mettre le pays sur la voie démocratique par le moyen des élections, seront sans aucun doute mis à profit par les Russes et les Américains pour mettre sous leur influence les nouveaux dirigeants de la Géorgie. Une rude bataille est ainsi engagée à distance entre les deux superpuissances. En attendant, sur le terrain, les Géorgiens ont célébré dans la liesse la démission d'Edouard Chevardnadzé et son départ du pays, alors qu'il était déterminé à rester “à la maison”. La “révolution de velours” s'est achevée dans le calme après trois semaines de crise. Une crise déclenchée, rappelons-le, par les élections législatives du 2 novembre dernier, entachées par de nombreuses fraudes selon l'opposition, qui n'a pas relâché sa pression sur le président. Le refus de l'armée et de la garde nationale de s'impliquer dans ce bras de fer entre l'opposition et le président a évité une effusion de sang dans le pays. K. A. La présidente par intérim appelle au retour de l'ordre La présidente par intérim géorgienne, Nino Bourdjanadzé, a appelé, hier matin à Tbilissi, au retour de l'ordre dans le pays, à la suite de trois semaines de crise politique. Prononçant son premier discours à la nation aux premières heures d'hier, après la démission de l'ancien président Edouard Chevardnadzé, la présidente par intérim a appelé les Géorgiens à “construire l'Etat et à renforcer la démocratie” et à rétablir “sans tarder” l'ordre non seulement à Tbilissi, la capitale, mais également dans d'autres régions. Elle a demandé aux personnes engagées dans les rassemblements de masse contre Chevardnadzé et les élections parlementaires controversées du 2 novembre de retourner à leur vie normale et au travail. Mme Bourdjanadzé a également rappelé que “le peuple faisait maintenant face à une opportunité historique de construire ensemble un état nouveau, puissant et indépendant”. Egalement présidente de l'ancien Parlement, Bourdjanadzé a justifié son nouveau poste, affirmant que conformément à la Constitution géorgienne, elle se devait d'accomplir temporairement les devoirs présidentiels. “Les élections présidentielles en Géorgie se tiendront selon un calendrier prévu dans la Constitution”, a-t-elle confirmé.