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“JE SUIS PRIS À LA GORGE”
Bouteflika craint de ne pouvoir tenir ses promesses aux sinistres
Publié dans Liberté le 25 - 11 - 2003


Relogement des sinistrés du séisme du 21 mai
Bouteflika
“Je suis pris à la gorge”
Le Président craint de ne pas tenir son engagement faute de temps.
Il ne reste plus qu'un mois avant l'expiration du délai que le président de la République s'est accordé pour offrir un toit décent aux populations affectées par le séisme du 21 mai dernier. Au lendemain de cette catastrophe, Abdelaziz Bouteflika avait juré qu'aucune famille sinistrée ne passera l'hiver sous la tente. Depuis, il ne rate aucune occasion pour réitérer cet engagement. Cependant, il est fort à craindre aujourd'hui que le chef de l'Etat ne tienne pas sa promesse. En se rendant, hier, sur les sites de relogement à travers les wilayas de Boumerdès et d'Alger pour s'enquérir de l'état d'avancement des chantiers, il s'est vu contraint d'admettre que le contrat ne sera probablement pas honoré. “Je suis pris à la gorge par le temps”, a reconnu le Président avec dépit. Pour autant, il ne s'est nullement senti en faute. Comme à l'accoutumée, Bouteflika a imputé les retards aux maîtres d'œuvre. “Vous les gens de Cosider, votre problème consiste à vouloir être partout à la fois”, a-t-il rétorqué sur un ton très courroucé au responsable de cette entreprise publique de construction qui lui faisait l'exposé d'un projet de 360 logements à Zemmouri. Sur le site d'implantation de la nouvelle cité, son aveu d'échec personnel s'est vite transformé en faillite collective dans laquelle les pouvoirs d'exécution sont en grande partie responsables. Fort de cette certitude, le chef de l'Etat a sommé les entreprises d'accélérer la cadence. “Il faut augmenter le nombre de rotations. Il n'y a aucune raison pour que les Chinois le fassent et pas les Algériens”, a-t-il préconisé lors de son passage à Zemmouri. Au cours des sept autres escales qui l'ont mené tour à tour à Ouled Moussa, Corso, Reghaia, Rouïba, Dergana, Kouba et Cheraga, le président de la République s'est fait l'écho de la même directive et a menacé de sanctions. “Je travaille avec vous en termes de bonus et malus”, a-t-il martelé à chaque étape de son périple. Attendu depuis huit heures à Ouled Moussa, premier point de sa visite, Abdelaziz Bouteflika n'est arrivé qu'à onze heures en compagnie d'une délégation très réduite composée du général Fodhil Chérif, chef de la 1re Région militaire, de Zerhouni et Hmimed, respectivement ministres de l'Intérieur et de l'Habitat ainsi que de son frère Saïd, conseiller à la présidence. À Ouled Moussa où il a inspecté un camp de chalets, le chef de l'état a eu à constater que beaucoup de choses sont encore à faire. Et pour cause, sur plus de 6 000 familles sinistrées, 2 000 sont toujours sous les tentes.
En termes d'expertise et de réfection des logements endommagés, 20 000 appartements uniquement sur un total de 64 000 sont en cours de restauration. S'agissant du projet des 20 000 logements confiés à l'entreprise Cosider, le retard dans la réalisation de la tranche comportant les 360 unités de Zemmouri est à ce titre très éloquent. D'où le grand embarras du Président.
S. L.
Reghaia, Kouba…
Ces sinistrés qui dérangent
Ils n'ont bénéficié ni de tentes ni de chalets. Les forces de l'ordre les ont empêchés de s'approcher du président.
“Natloubou Erais” (Nous demandons le président) fusent des cris de femmes. Derrière une barrière de sécurité gardée par des agents de l'ordre imperturbables, elles sont des dizaines à vouloir franchir l'obstacle pour s'approcher du président et se plaindre à lui de leur situation d'abandon. Quelques-unes tentent le coup, mais sont aussitôt rabrouées par les policiers inflexibles et arrogants. “Tu as intérêt à te calmer, sinon tu auras affaire à moi”, menace un officier l'une d'entre elles. Aussitôt des hurlements stridents se font entendre. “Daragtouna (Vous nous avez cachés) et vous voulez maintenant nous tuer”, s'insurge violemment l'assemblée des déshéritées. Cependant, leurs lamentations sont vite étouffées par le brouhaha ambiant. De l'autre côté de la barrière, loin des yeux des suppliciées, se profile une ambiance autrement plus pacifique et détendue. Au bout d'une file de voitures rutilantes, se dresse une foule innombrable. Grands et petits tentent de se frayer un passage dans la marée humaine pour voir de près l'hôte prestigieux et le saluer. Il est midi, le camp de chalets de Reghaïa affiche des couleurs bigarrées. Ceinturé par des drapeaux multicolores, planté d'arbres et parcouru d'allées goudronnées, il ressemble à un centre de vacances. Alignées sur plusieurs rangées, les petites maisons en préfabriqué sont entourées de clôture. Les portes entrebâillées découvrent des quotidiens moins rudes. Toutefois, loin d'être un droit aux sinistrés de la localité, ce genre d'habitations est un luxe offert à quelques privilégiés. Quant aux autres, le récit qu'ils font de leur triste dénuement dévoile le caractère sélectif et partiel de l'opération de relogement supervisé par le chef de l'Etat. “À Reghaïa, il y a au moins quatre quartiers, Chebcheb, Djaafria, El-Bal, Faoussi, où les habitants sont oubliés.”, dénonce cet homme qui rejoint le groupe des insurgées. Se dégageant de la mêlée, une femme raconte presque dans un râle sa terrible agonie. À l'instar d'autres familles, elle occupait avec les siens une tente de fortune à proximité d'un vaste haouch que la communauté paysanne a quitté suite au séisme. Le camp de toile, installé à l'entrée de Reghaïa, faisait visiblement honte aux autorités qui voulaient le démanteler, afin de ne pas offusquer par un tel spectacle le président lors de son passage. “Les éléments des forces de l'ordre sont venus la nuit du 27 ramadhan pour nous ordonner de regagner nos maisons en ruines. Devant notre refus, ils ont démonté les tentes et ont jeté nos affaires à la rue”, se plaint la malheureuse femme. Depuis, comme ses voisins, elle passe ses nuits à la belle étoile. Au quartier Appreval de Kouba, le destin de ces soixante autres familles du centre de transit Sontro, doublement sinistrés par le tremblement de terre et leur situation de misère n'est pas plus enviable. Amassées sur le trottoir, face à une cité flambant neuf que le chef de l'Etat est venu inaugurer, elles voulaient également adresser un appel d'aide au visiteur de marque. En vain. “Les autorités locales nous ont demandé de désigner deux représentants et ont promis de leur faire rencontrer le président, mais ils ont finalement menti ”, s'exclame un jeune. Trahis, les laissés pour compte ont alors décidé de recourir au pire. Durant la présence du président sur les lieux, ils ont tenté à de nombreuses reprises de forcer le cordon de sécurité. Pour contenir les débordements, les forces de l'ordre se sont efforcées de se montrer diplomates avant d'employer les gros moyens, une fois Bouteflika parti. Aussitôt, casques, bâtons et boucliers sont apparus. L'objectif : taire ces voix de sinistrés qui dérangent et que le président ne pouvait voir. Pourtant, sur son itinéraire, des spectacles, autres que celui-là, devaient logiquement l'interpeller. Sur plusieurs kilomètres, des camps de toile empêtrés dans la boue moisissent sous le soleil de l'hiver…
S. L.


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