Experts, professeurs d'université et chefs d'entreprise partagent la même vision critique de l'économie algérienne, trop dépendante des hydrocarbures, ne générant pas assez de valeur ajoutée pour répondre à la demande sociale “en termes d'éducation, de santé, d'emplois, etc., dont la satisfaction va devenir de plus en plus préoccupante, en relation avec le croît démographique et les exigences de plus en plus complexes d'une population en prise directe avec les mutations de plus en plus rapides du monde contemporain”. Pour l'ancien ministre et ancien P-DG de Sonatrach, Abdelmadjid Attar, “le degré d'épuisement avancé de nos réserves nous impose de constituer une réserve stratégique pour les générations futures à défaut de leur léguer une économie diversifiée capable de progresser par elle-même”. Abdelmadjid Attar constate que le processus de recyclage et d'utilisation efficace de la rente n'a pas permis de concrétiser les attentes en termes de diversification de l'économie nationale et de progrès social. Chiffres à l'appui, l'ancien P-DG de Sonatrach indique que les réserves en hydrocarbures sont entamées à au moins 50%. Alors qu'en parallèle la consommation augmente fortement (1,2 tonne équivalent pétrole par an et par habitant, +7% par an pour le gaz). M. Attar prévoit également une baisse des exportations à partir de 2022, soulignant la nécessité d'une stratégie urgente en matière de transition modèle de consommation énergétique vers l'économie d'énergie et le renouvelable. L'Algérie pourrait être confrontée à l'équation d'une demande sociale qui explose et des ressources qui diminuent. Youcef Benabdallah et Rafik Bouklia-Hassane ont relevé la forte tendance à la hausse des dépenses liées aux traitements, pensions et transferts sociaux de l'Etat : 13% du PIB en 2005 et 20% en 2010. “Contrairement au début des années 1970 (rente pétrolière préservée pour l'investissement), l'Etat a recours de plus en plus à la rente pour satisfaire la demande sociale. Depuis le début de la décennie 1990, la fiscalité hors hydrocarbures ne couvre les dépenses de fonctionnement qu'à entre 43 et 60%”, ont-il constaté, relevant les difficultés de l'Etat de mettre au point des politiques anticycliques. “La situation de passagers clandestins des Algériens n'est pas soutenable car la dépense n'est pas calée sur la fiscalité directe et indirecte”, estiment-ils. Youcef Benabdallah et Rafik Bouklia-Hassane indique que contrairement aux pays qui ont combiné croissance et redistribution (Corée du Sud, Indonésie, Chine), l'Algérie améliore son indice de développement humain par le canal non monétaire dans un contexte de bonne conjoncture. Pour eux, la cohésion sociale a plus de chance de se maintenir si elle est fondée sur une croissance hors hydrocarbures durable, seule à même de garantir de l'emploi et des revenus. Il faut, alors “rétablir la confiance entre l'Etat et les entreprises”, suggère le professeur Chérif Belmihoub. Car pour lui cette confiance “est érodée”, relevant un cadre institutionnel inadapté à une croissance soutenue, un accès aux ressources publiques discriminant et difficile, un climat des affaires contraignant, des coûts de transactions élevés. S'appuyant sur le rapport Doing Business de la Banque mondiale, le professeur Chérif Belmihoub note que sur le classement de183 pays, l'Algérie a rétrogradé de 14 positions en trois années. Tous les indicateurs sont mauvais dans l'absolu et par comparaison avec les pays similaires. Mais au-delà du rang occupé par l'Algérie dans le classement général et dans le classement par domaines de réglementation, “c'est l'immobilisme constaté qui est le plus préoccupant”, regrette le professeur. Les réformes administratives tardent à se mettre en place. Là où des textes réglementaires existent, leur application est souvent laissée à la discrétion du fonctionnaire… Pour autant Chérif Belmihoub estime qu'un bon climat des affaires ne suffit pour avoir la croissance, il faut avoir des entrepreneurs qui acceptent de prendre des risques. M. R.