Six mois et trois jours après la fin officielle de son mandat à la tête du Conseil constitutionnel (CC), Boualem Bessaïeh vient de recevoir son bon de sortie. Le président Bouteflika, qui a laissé perdurer une latence incompréhensible pour une institution aussi sensible, ne perd pas au change en nommant un de ses plus fidèles ministres. L'imbroglio juridique, qui a entouré la fin de mandat de Boualem Bessaïeh, qu'on disait de surcroît fatigué par cette charge et des ennuis de santé, vient de trouver un dénouement aussi brutal qu'inattendu. Bouteflika ne déroge pas à la règle de la nomination surprise en remplaçant le titulaire de la quatrième institution de l'état par un simple décret, émis un jeudi après-midi, annoncé par un laconique communiqué de la présidence de la République. Ainsi, le président Bouteflika opère un changement crucial à 40 jours des élections législatives où le rôle du conseil constitutionnel sera particulièrement scruté. On passera rapidement sur le fait que Tayeb Belaïz, un natif de Maghnia, remplace un natif d'El-Bayadh. Depuis des années, le président semble n'avoir cure des critiques inhérentes au système qui l'accusent d'avoir une préférence aux postes-clés pour des hommes originaires de l'Ouest et spécialement de l'épicentre tlemcenien. Ceci a cessé d'être une surprise même pour le plus ahuris des observateurs. Mais l'essentiel est ailleurs et certainement dans la partition silencieuse qu'implique ce choix et les nouveaux équilibres qu'il induit. Tayeb Belaïz, après 9 années passées comme garde des Sceaux laisse ses réformes inachevées pour conquérir le prestigieux poste du conseil constitutionnel. À 63 ans, il accède aux fonctions du “sage des sages” et devra répondre, dans des délais assez courts, au défi de vérifier, contrôler et valider des élections majeures dans l'histoire politique de la nation. M. Belaïz gagne au change au moment où l'état de santé de son principal mentor, l'ancien président Ben Bella, était vacillant et présageait d'une disgrâce future. Bouteflika l'a nommé pour 6 ans, avec un mandat unique comme le précise la loi, ce qui implique que M. Belaïz sera encore dans le circuit en 2018. Sur ce plan, il a assuré un CDD de luxe. Mais c'est sur l'aspect politique que s'enchevêtrent les spéculations. Le président Bouteflika a-t-il fait une bonne affaire en déplaçant un homme-clé de son architecture du pouvoir vers le conseil constitutionnel ? La réponse ne peut être que mitigée. Si on doit plaider le scénario optimiste, la nomination de M. Belaïz au CC va permettre au président de ne pas avoir de surprises désagréables. En nommant son ministre de la justice, il envoie un signal fort aux partis politiques et aux partenaires occidentaux sur le fait qu'il croit et prend très au sérieux les législatives de mai 2012. Ce qui peut s'apparenter à sacrifier un pion de son dispositif politique afin de garantir des élections irréprochables. La feuille de route de Belaïz est claire et personne n'envisage sa mission autrement que par un scrupuleux respect des règles constitutionnelles afin que l'élection ne tourne pas au scandale. Le CC va faire son job dans le strict respect des lois de la République et n'entérinera pas des résultats biaisées. Il y va de la crédibilité des réformes du Président si ce n'est de sa parole donnée. Pour la version la plus pessimiste, Bouteflika a écarté Belaïz de la justice, ce dont rêvaient beaucoup de gens dans le sérail tant le ministre de la Justice ne faisait pas l'unanimité. On passera, aussi, rapidement sur le fait que Belaïz ne cumulera pas les deux postes. Aussitôt élus ou désignés, les membres du Conseil constitutionnel cessent tout autre mandat, fonction, charge ou mission, dit la loi mais le communiqué de la présidence ne le dit pas. Reste à savoir comment va fonctionner la justice dans les prochains 40 jours alors qu'elle aussi, au-delà du CC, est appelée à tenir le premier rôle dans les prochaines élections législatives. Belaïz, qui devait superviser le travail des magistrats, intronisés vérificateurs et organisateurs impartiaux des élections par le projet de loi portant mise en place de la commission de contrôle des élections législatives, ne sera pas de la partie. Projet et décret qui, paradoxalement, ont été validés par le conseil constitutionnel sous Bessaïeh alors qu'il n'était plus en droit — constitutionnel — de le faire ! Même en ayant le rôle de supra-vérificateur, le rôle direct de ministre de la justice n'échoit à personne. Le communiqué laisse planer un doute “bouteflikien”. Du moins, la thèse la plus vraisemblable pour les observateurs est qu'il va incomber au premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui devra superviser le travail de ce département en coordination avec le secrétaire général du ministère, avec tout ce que cela va charrier comme discussions et polémiques. D'autant qu'il avait été garde des Sceaux et fin connaisseur des rouages de cette administration. Finalement, le président Bouteflika laisse le poste vacant pour le futur titulaire qui émanera de la prochaine assemblée même si ce poste régalien est trop sensible pour se retrouver entre les mains d'un amateur. Mais il laisse également filtrer, selon certains, ses intentions personnelles au-delà du 10 mai. Belaïz est-il nommé pour l'échéance présidentielle de 2014 ? C'est ce qu'on appelle un faux procès intenté au président et qui, faute de preuves, n'est pas prêt de se tenir. M B.