L'avènement du gouvernement islamiste d'Abdelilah Benkirane dans le sillage des réformes de M6, initiées sous l'emprise du “Printemps arabe”, pose à son tour la question cruciale de la place des minorités religieuses dans le monde arabo-musulman. L'intention affichée du ministre marocain de la Communication et porte parole du gouvernement, Mustapha El-Khalfi de “ré-islamiser” et “arabiser” la grille des programmes des chaînes de télévision publiques n'a pas été du goût de tous les Marocains. Elle n'a pas laissé indifférent, en tout cas, une figure de la communauté juive casablancaise, en l'occurrence Gabriel Banon, homme d'affaires et ancien conseiller économique de plusieurs chefs d'état, notamment des présidents Georges Pompidou, Yasser Arafat et Vladimir Poutine. Au cours d'une émission sur Luxe Radio de Casablanca consacrée à l'actualité marocaine, Gabriel Banon (qui est le père de Tristane Banon, l'accusatrice de DSK et l'ex-beau-père de Pierre Lellouche, l'actuel secrétaire d'état français chargé du commerce extérieur), a demandé, en direct à l'antenne, au chef du cabinet du ministre marocain de la Communication, Saâd Loudiyi, si son ministre de tutelle, Mustapha El-Khalfi, avait également l'intention de diffuser des programmes hébraïques en direction des juifs marocains. La charge a eu son effet : surpris par cette interpellation, le représentant du ministère marocain de la Communication n'a su quoi répondre se bornant à estimer qu'il n'était là que pour donner des informations aux auditeurs… L'incident clos, il est aussitôt relayé sur les réseaux sociaux où depuis quelques semaines les internautes marocains ne cessent de dénoncer mordicus le tournant “conservateur” pris par le gouvernement islamiste de Benkirane qui, aujourd'hui en pole position de la scène politique marocaine, commence à montrer sa véritable nature. Une partie de la société marocaine commence, ainsi, à s'inquiéter sérieusement sur la question des libertés individuelles que le gouvernement dit “islamiste modéré” s'était pourtant engagé à respecter. Certains craignent, à présent, que le projet de société auquel tiennent par-dessus-tout les islamistes au pouvoir ne laisse aucune chance aux juifs du Maroc : “Malgré les vicissitudes de l'histoire, la communauté juive s'accroche ici autant qu'elle peut à sa marocanité. Même l'action permanente du mouvement sioniste qui continue à présenter l'immigration en Israël comme la seule perspective de salut pour ces juifs "récalcitrants" n'est pas arrivée à bout de leur détermination. Beaucoup sont restés par attachement à leurs racines judéo-marocaines. Et ceci est tout à leur honneur ! Mais un jour ou l'autre, les islamistes mettront à mal cette présence juive plusieurs fois millénaire”, estime sceptique Zoubida, une internaute. Il faut savoir que le Maroc compte aujourd'hui, selon l'estimation la plus optimiste, quelque cinq mille citoyens juifs concentrés dans les grandes villes, notamment à Casablanca, contre près de 350 000 avant l'avènement de l'état d'Israël en 1948. Le judaïsme étant, par ailleurs, la première religion monothéiste révélée et par conséquent la première à avoir été embrassée par les premiers habitants de l'Afrique du Nord, les Berbères, beaucoup ne comprennent pas pourquoi les islamistes ne conçoivent pas cette succession d'identités culturelles et religieuses en Afrique du Nord comme une richesse. “Avant d'être musulmans, nos ancêtres ont longtemps été juifs, chrétiens, païens, manichéens, donatistes, etc. Que sait-on au PJD de cette histoire complexe mais néanmoins très riche ? Pas grand-chose. Surtout si l'on ne veut pas le savoir ou qu'on a l'esprit trop étroit pour le comprendre…”, s'indigne Ali, un autre internaute. Azoulay et les autres Officiellement, la Constitution consacre la diversité identitaire, culturelle et religieuse en vertu de laquelle les marocains de confession juive sont “une partie intégrante” de la société marocaine. Mieux, la nouvelle loi fondamentale met en valeur l'identité plurielle du Maroc et reconnaît explicitement un “affluent” hébraïque au royaume. Aussi, l'intervention énergique de Gabriel Banon est considérée tout à fait pertinente. Ce proche du conseiller du roi, André Azoulay, le célèbre juif souiri, l'une des personnalités politiques les plus influentes du royaume, n'est pas anodine. Loin s'en faut ! Gabriel Banon qui signe régulièrement des chroniques dans Maroc Hebdo et sur Luxe Radio est, lui-même, de cette génération de Juifs marocains qui se sont battus pour le Maroc “avant et après l'indépendance”. Et c'est précisément grâce à des gens comme lui et comme André Azoulay (qui revendiquent et qui assument leur judaïté) que le Maroc est toujours cité en exemple pour sa tolérance à l'égard des juifs, des citoyens à part entière et qui plus est, sont très dévoués pour les intérêts du royaume. Conscient de la fragilité de leur particularité identitaire, les juifs du Maroc sont pour la plupart très sensibles, (et on les comprend) à la cause des droits de l'homme. Et pendant que Benkirane continue à défendre vaille que vaille l'action de son gouvernement et que ses ministres continuent à nier le caractère extrémiste de certaines de leurs positions, dans le camp progressiste, on prépare discrètement la riposte. Ainsi, au moment même où le ministre de la Communication, Mustapha El-Khalfi tentait de s'immiscer dans les programmes des télévisions publiques, la chaîne 2 M, lui a fait un joli “pied de nez” en diffusant, à une heure de grande audience , un documentaire Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah de Kamal Hachkar qui retrace les péripéties de Juifs berbères installés en Israël et qui ont gardé leurs traditions Marocaines ainsi qu'une grande nostalgie du Maroc. Pour beaucoup de marocains, ces velléités à moraliser à tous prix leur vie de tous les jours dénotent, d'ores et déjà, d'un échec annoncé du gouvernement islamiste à lutter contre le chômage, la corruption, la cherté de la vie… Pour certains, ces menaces sur les libertés individuelles rendent la situation “encore plus difficile aujourd'hui”. Ce qui fait rappeler un vieux proverbe judéo-marocain : “ach khassek ya aârian, khatem a Moulay” (que te manque-t-il toi qui es nu ? Une bague, Monseigneur !). M.-C. L.