Faïza Guène, qui a connu un succès fulgurant après la sortie de son premier roman Kiffe Kiffe demain (sorti en 2004 et vendu à 400 000 exemplaires), écrit à 18 ans, revient, dans cet entretien, sur son roman en cours d'élaboration, sa résidence d'écriture à Aïn Témouchent (organisée par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel), son rapport à la langue, à l'écriture et à ses origines algériennes. Liberté : Vous étiez en résidence d'écriture à Aïn Témouchent du 9 au 20 avril. Comment cela s'est-il déroulé et qu'en est-il du texte que vous avez écrit ? Faïza Guène : J'ai pris contact avec l'Aarc par l'intermédiaire du directeur du Centre culturel algérien de Paris, Yasmina Khadra. Je cherchais un soutien au niveau de l'Algérie parce que je suis binationale et très proche de mon pays d'origine. Je cherchais un partenaire et ils se sont tout de suite proposés. J'ai vraiment apprécié et j'ai pris cela comme un encouragement, parce que je trouve que c'était dommage de ne pas avoir plus de liens avec les institutions algériennes pour mon travail. Le roman que je suis en train d'écrire actuellement traite du déracinement, et pour l'écrire, il fallait retourner à mes racines. Je me suis servie de mes souvenirs, de ce qui était familier pour moi, comme un outil pour l'écriture. Ce roman intitulé la Rééducation raconte l'histoire d'une famille qui se sépare et qui finira par se ressouder suite à la mort du père. C'est l'histoire d'une rupture familiale et une réflexion sur le rapport aux origines et à l'exil. Des questions transversales à tous mes livres. C'est une comédie sociale et, même si c'est sérieux, c'est traité d'une manière légère. C'est transversal à tous mes livres. Même si on retrouvera les mêmes questionnements, il y a certainement plus de recul, de maturité… Je dirais que c'est plus intime que les trois précédents. Je suis restée plus en surface sur les trois précédents, mais il y avait aussi une volonté de prendre de la distance et de raconter des choses légères, même s'il y avait des thèmes assez énormes, comme l'illettrisme, la pauvreté, la solitude. On vous surnomme en France “la Sagan des cités”. Êtes-vous d'accord avec ce cloisonnement, cet enferment dans une certaine littérature dite “littérature beure” ? Je ne me définis pas comme un auteur de banlieue. En France, ils ont beaucoup dit cela, mais c'est une manière de mettre en marge les gens, de les renvoyer toujours à une situation marginale. La littérature urbaine, dite de banlieue, ça n'existe pas. Ce que je trouve contradictoire, c'est que je n'ai jamais eu l'impression d'écrire sur les banlieues. Et c'est la raison pour laquelle j'avais vraiment envie que ce livre traite de sujets de manière moins légère peut-être. Cette étiquette est également due peut-être à la langue utilisée (argot, verlan, etc.)… Dans mon premier roman écrit à la première personne du singulier, la narratrice était une adolescente de quinze ans, et donc la langue utilisée rendait l'histoire plus réaliste. Je voulais vraiment donner une voix particulière. Mais il avait été perçu comme si j'avais écrit ma propre langue, mon journal intime, ce qui n'était pas du tout le cas. C'est un livre malgré l'argot que j'ai employé – argot employé même par les habitants du 16e arrondissement – qui a été traduit en 28 langues. Si c'était vraiment une problématique de banlieue française, cela n'aurait pas intéressé autant de monde. Vous avez un parcours incroyable et avez connu le succès très jeune. Comment vit-on le succès lorsqu'on est jeune ? C'était énorme. Je n'ai pas été préparée donc, du coup, j'ai fait les choses spontanément et peut-être que c'était cela ma chance. Et l'autre chose, c'est que ce n'était pas une démarche de ma part d'être publiée. Je n'ai pas nourri de fantasmes, ce n'est pas comme quelqu'un qui écrit un manuscrit et qui frappe à toutes les portes de maisons d'éditions et qui se bat pendant dix ans pour publier quelque chose. Je n'avais pas d'attente, et c'était une chance parce que j'ai vécu les choses avec plus ou moins de distance. Je pense que je n'avais pas d'enjeux. J'ai la chance d'être dans une famille très aimante, et mon cadre familial était structurant. Je n'ai pas cherché autre chose seulement de rencontrer des gens et partager ce que j'aimais faire avec les autres, etc. Ce n'était pas une période horrible. Quel est votre rapport à l'Algérie ? Je viens tous les ans depuis que je suis toute petite (depuis l'âge de deux mois). J'ai un rapport très affectif avec l'Algérie, puis on porte vraiment la déchirure de l'exil. Ma mère a suivi mon père en France quand elle avait 30 ans, et quand elle est arrivée, elle a mal vécu le fait de venir en France, ce n'était pas le “french dream”. Elle nous a transmis un peu ce truc, c'est-à-dire d'imaginer toujours un retour possible. Je suis née en France pourtant, mais on a toujours vécu avec ce poids. Et je m'interroge sur l'héritage qu'on a. Dans mon cas, je n'idéalise pas l'Algérie, mais en même temps j'ai un rapport d'affection, j'y ai de bons souvenirs et des gens que j'aime. S. K.