REsumé : Sur la route de la fontaine, Louisa rencontre un jeune homme qu'elle n'avait jamais vu au village. C'est le fils de leurs anciens voisins, émigrés depuis des années en France. L'homme avait un air qui lui plaisait. Ils engagèrent une conversation, et elle lui proposa de venir chez elle pour une voyance. Arrivée chez moi, je montais promptement les quelques marches en bois qui menaient vers la soupente et me jetais, haletante, sur une paillasse. Je ne savais pas ce qui m'arrivait, mais cet homme, dont je ne connaissais même pas encore le nom, revenait sans cesse dans mes pensées. Je revoyais son visage jovial, et ses traits réguliers. Les traits d'un intellectuel. Cet homme avait connu l'école, sûrement. Il a été élevé avec les roumis, il ne pouvait en être autrement. Il était donc savant… Il savait lire et écrire. Je fermais fortement mes paupières et tentais de voir une lumière dans le trou noir qui m'engloutissait. Rien. C'était le néant à l'infini. Aucune lumière ne filtrait… Je ne pouvais ni voir ni ressentir quoi que ce soit mais… mais je savais… Quelque chose en moi avait remué. Je plaisais à cet homme… et… et il me plaisait… Il me plaisait même beaucoup. Je me laisse rouler sur ma paillasse et je me mets à rêver. Je comprenais maintenant l'empressement de ces jeunes filles qui venaient me consulter, pour que leurs rêves d'amour se concrétisent. C'était donc ça l'amour… ! Ce sentiment palpitant qui vous coupe le souffle, et qui vous fait sentir que vous êtes le maître du monde ! Les secondes et les minutes se rallongeaient. Je trouvais le temps interminable. Na Daouia n'aura-t-elle pas un empêchement de dernière minute ? Ce jeune homme aussi pourrait changer d'avis. Allait-il vraiment venir ? Le doute s'immisçait en moi. Je me mis à tourner en rond en ruminant les idées les plus biscornues. Ma mère me cherchait. Je l'entendais qui m'appelait de la grande salle du rez-de-chaussée. N'obtenant pas de réponse, elle vint tout bonnement me rejoindre. -Que fais-tu donc seule dans la soupente ? Des gens t'attendent pour la voyance. Il y a déjà plusieurs femmes dans ta chambre. Elle me regarde d'un air interrogateur ; Puis remarquant peut-être mon hésitation, elle poursuit : - Qu'as-tu donc Louisa ? Es-tu souffrante ? Je relève enfin la tête pour lui répondre : - Non juste un peu fatiguée. Va dire à ces femmes de revenir un autre jour. - Tu n'y penses pas. Il y en a parmi elles qui viennent de très loin. - Je ne suis pas en mesure de leur prédire l'avenir dans l'état où je suis. Ne savent-elles donc pas que je suis faite en chair et en os et tout comme le commun des mortels, exposée à toute sorte de maux dans ce monde ? Ma mère me touche le front. La chaleur qui se dégageait de tout mon corps m'avait fait monter le sang au visage : - Tu n'es pas fiévreuse mais ton air abattu ne me plaît pas… Je vais m'excuser auprès de tes clients et… Je me rappelle tout à coup que Na Daouia devait venir. Je porte une main à ma bouche pour interrompre ma mère : - Na Daouia est-elle avec elles ? - Na Daouia ? - Oui ton ancienne voisine… Celle qui habite à Paris… Ma mère fronce les sourcils : - Pourquoi me poses-tu cette question Louisa ? Na Daouia t'a t-elle rencontrée ? Je me mordis les lèvres. Je m'y étais mal prise pour poser cette question impertinente à ma mère. Je m'empresse donc de rectifier le tir : - Non, je ne l'ai pas rencontrée mais je me disais qu'étant donné qu'elle était déjà passée te rendre visite, elle aurait peut-être sollicité mes dons avant de repartir en France. Ma mère demeure silencieuse une seconde. Elle avait dû se rappeler un détail… Mais reprenant rapidement ses sens, elle secoue sa tête : - Non… Na Daouia n'est pas venue ? Et si c'était le cas, qu'aurais-tu fais ? -Oh, je l'aurais tout bonnement renvoyée comme toutes les autres, répondis-je avec désinvolture. (À suivre) Y. H.