La campagne électorale pour les législatives entame sa dernière semaine sans qu'elle suscite l'intérêt escompté chez les citoyens et probables électeurs. Le spectre de l'abstention pèse toujours sur ce scrutin, qualifié de décisif pour la survie du régime et de la classe politique qui va avec. Les meetings électoraux n'ont pas drainé la grande foule. Sur les panneaux d'affichage, les citoyens ont préféré du moins rappeler que leurs soucis étaient la cherté de la vie, sinon arracher les affiches des candidats. C'est leur façon à eux de dire ce qu'ils pensent de cette campagne. Dans l'Algérie réelle, cette campagne n'intéresse pas grand monde car elle est loin de prendre en compte leurs préoccupations de tous les jours. Des meetings ont été annulés faute de public. Les jeunes rémunérés pour remplir les salles étaient pris par d'autres candidats, tant pis pour celui qui paye en dernier ! Les discours servis durant cette campagne renforcent cette conviction. Le FLN et le RND brandissent la menace d'une intervention étrangère au cas où les gens n'iraient pas voter. Et les autres partis, surtout les islamistes, qui ne jurent que par la victoire, parce que c'est à la mode dans le monde arabe, multiplient les promesses électorales au point d'exagérer, comme Djaballah qui promet d'éliminer la pauvreté en une année. Les jeunes préfèrent ironiser : “Bien sûr qu'il le peut. Il va éliminer tous les pauvres en moins d'une année.” Le même Djaballah croit savoir qu'en exportant de l'huile d'olive, on pourrait être plus riche qu'en exportant le pétrole. Amar Ghoul, lui, fait le tour des cafés et promet des cadeaux là où il passe. Confondant campagne et tombola, le ministre n'hésite pas à exhiber dans son affiche électorale le projet de l'autoroute Est-Ouest. Problème : ce projet, dont les délais et les coûts ont subi de sérieuses rallonges et dont les défauts n'ont pas fini de faire râler les automobilistes, a défrayé la chronique suite au scandale de corruption qui a envoyé des cadres du ministère en prison sans que le ministre soit concerné. De deux choses l'une : ou il n'était pas au courant et, donc, il ne contrôlait rien de ce projet et n'a pas le droit d'en parler, ou alors il a été épargné et, par décence, il ne devrait pas en parler. Pour moins que cela, ailleurs des ministres ont démissionné. Lui, il est fier et il s'en vante. Dans ce registre, il n'est pas le seul. Les patrons du FLN et du RND s'approprient les réalisations inscrites dans le programme quinquennal du président de la République. Jusqu'au bout, ces deux formations usent et abusent du parapluie présidentiel. Mais si le RND est né et fait pour soutenir le pouvoir en place et se trouve, donc, dans son élément, le FLN, lui, vit une crise interne sans pareil, et son patron mène la campagne en solo alors que la majorité des membres du Comité central lui a retiré sa confiance et devrait élire son successeur au lendemain du scrutin législatif. La campagne électorale a introduit de nouvelles mœurs politiques : les leaders politiques ne se gênent plus pour exhiber leur progéniture et les préparer pour la succession. Comme si rien ne s'était passé autour de nous, les Belkhadem et Soltani sont escortés par leurs fils durant toute la campagne. Djaballah a fait mieux : il a présenté sa femme, son beau-frère et une brochette de ses proches sur les listes électorales. Une autre présidente d'un nouveau parti a trouvé une meilleure parade : elle se présente sous la casquette de son nouveau parti et son mari se présente sous la casquette d'un autre. Une façon de fructifier au maximum leurs chances de gagner le fameux sésame. L'autre nouveauté réside dans l'officialisation de la pratique de la “chkara”, d'abord dans le choix des candidats, ensuite durant toute la campagne où l'on “loue” carrément les présents et, enfin, le jour du vote où l'on s'apprête à mettre le paquet pour s'acheter un siège au Parlement. En dépit des mises en garde du ministre de l'Intérieur, il serait difficile de freiner cette tendance au moment où le pays tout entier est géré par la mentalité de la “chkara”. Pendant ce temps, le vrai peuple constate amèrement que les augmentations servies pour le calmer au printemps dernier sont parties directement dans les poches des trabendistes, ceux-là mêmes qui dictent leurs conditions au gouvernement, de l'aveu même du Premier ministre. La flambée des prix des produits alimentaires dépasse les capacités du gouvernement et ne figure pas dans les soucis des partis en lice pour les législatives. C'est à travers des grèves, des émeutes que le peuple s'exprime. Un grand fossé sépare les deux entités. D'ici le 10 mai, il est peu probable que l'on parvienne à en réduire la profondeur. A B