La sentence rendue par le tribunal de Tunis, en ce jour dédié à la liberté de la presse, sonne comme un compromis exprimant la gêne des juges et leur volonté de partager la poire en deux. Le tribunal de première instance de Tunis a rendu son verdict, jeudi, dans l'affaire dite de Nessma-TV, dont le directeur général et deux de ses collaborateurs ont été condamnés à des amendes pour avoir nui à “l'ordre public” et “aux bonnes mœurs”, en diffusant, en octobre dernier, un film animé parodiant la gouvernance des islamistes en Iran et représentant, dans l'une de ses séquences, Dieu sous les traits d'un vénérable vieillard. Le directeur de la chaîne, Nabil Karoui, écope d'une amende de 2400 dinars, soit l'équivalent de 1200 euros. Nadia Jamel, présidente de l'association Images et paroles, qui a pris en charge la traduction du film en dialecte tunisien, de même que Hédi Boughnim, directeur de la programmation à Nessma-TV, ont écopé, pour leur part d'une amende de 2200 dinars tunisiens pour complicité. Nabil Karoui a, par contre, été acquitté des accusations d'atteintes aux rites religieux alors que ses accusateurs demandaient, pour ce chef d'inculpation, l'application du texte de loi numéro 72 incluant la peine de mort. La sentence rendue par le tribunal de Tunis, en ce jour dédié à la liberté de la presse, sonne comme un compromis exprimant la gêne des juges et leur volonté de partager la poire en deux. Et, comme dans toutes les situations similaires, aucune des parties n'est satisfaite. Pas plus la partie civile que les accusés. “Monsieur Karoui aurait pu être condamné à une peine allant de trois à six mois de prison ferme au regard des chefs d'accusation”, a déclaré un avocat de la partie civile, Rafik Ghak, qui s'est dit prêt à étudier avec ses clients l'intérêt de faire appel. Par ailleurs, dès l'annonce de la sentence, un regroupement de personnes hostiles à Nabil Karoui et à sa télévision a eu lieu devant le palais de justice, pour dénoncer la clémence du tribunal et la légèreté de la peine. Pour leur part, l'accusé et ses avocats ont décidé de faire appel car, considèrent-ils, seul l'acquittement pur et simple est acceptable à l'issue d'un procès qui n'aurait jamais dû avoir lieu. “Je suis extrêmement triste. Je pensais qu'en ce jour, la Tunisie allait donner une autre image au monde entier que celle qui atteint aux libertés”, a déclaré le patron de Nessma-TV, avant d'ajouter qu'il est “très préoccupé par la situation des libertés en Tunisie parce que sa condamnation constitue un très mauvais message non seulement au niveau national mais aussi dans tout le Maghreb.”Ann Harrisson, représentant d'Amnesty international, a fait part de sa déception après le verdict, estimant que “dans un jour célébrant la liberté de la presse dans le monde, la Tunisie a montré son échec dans le respect des droits élémentaires de la liberté d'expression.” Même amertume chez Karim Lahidji, vice-président de la Fédération internationale des droits de l'homme (Fidh), qui a dénoncé la condamnation de Nabil Karoui, estimant que celle-ci, “aussi symbolique soit-elle, n'en est pas moins préoccupante”, ajoutant que “la justice tunisienne, par cette décision, s'inscrit en faux par rapport aux engagements de la Tunisie relatifs au respect des libertés fondamentales.” Le procès de Nessma-TV, intervenu en pleine transition d'une Tunisie à la croisée des chemins, est devenu emblématique d'une lutte sans merci, avec comme enjeu, la liberté d'expression en particulier et les libertés en général. En effet, les journalistes sont les cibles privilégiées de la police et de milices islamistes et le pouvoir en place n'a de cesse de récupérer et de domestiquer une presse qui a découvert l'ivresse de la liberté après la chute de Ben Ali. M.A. B