Dans la capitale de la Grande-Kabylie, près de 200 candidats, présents sur trente listes électorales partisanes et deux indépendantes courtisent environ 620 000 électeurs. Plus de 1 000 meetings et autant de rencontres de proximité ont été organisés par les prétendants à la députation. Pourtant, il n'est pas sûr que ces opérations de charme soient parvenues à transcender la désaffection de la population vis-à-vis des élections. La commune de Mekla, à quelque 25 kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, se profile sous son ambiance de tous les jours, en ce 2 mai. Les cafés sont animés, les magasins ouverts, la circulation fluide. Rien ne montre que la veille, un attentat terroriste, perpétré dans les chemins tortueux de ce village, a coûté la vie à quatre policiers. Rien n'augure, non plus, d'une ambiance électorale particulière à quelques jours de la tenue des législatives. Sur les murs, peu d'affiches, incitant au vote sur des listes partisanes ou indépendantes, sont placardées. Des citoyens, jeunes et moins jeunes, discutant par grappes, leur tournent le dos, au sens littéral et figuré du mot. Nous interpellons un groupe d'hommes, qui assis sur un banc public, qui debout adossés au mur. D'abord sceptiques, ils refusent de nous parler. “Les élections ? C'est un sujet tabou, pour nous”, lance un trentenaire. Après quelques minutes d'hésitation, les langues finissent pas se délier pour fustiger les candidats à la députation. “Voter pour qui ? Pour des gens qui rempilent pour des salaires mirobolants ?” s'interroge un homme d'un certain âge. “Les jeunes ici ont besoin d'un emploi stable. Que peuvent leur apporter les députés ?” poursuit-il désabusé. “Tous les partis politiques se ressemblent. Ils ne nous sont pas utiles”, enchaîne un autre. “Personne ne s'est intéressé à Mekla à la campagne. Les candidats viennent boire du café et puis repartent”, témoigne un jeune homme. Ici, on ne croit pas vraiment à l'engagement des autorités nationales. Bien que dépités par la classe politique et complètement désillusionnés par rapport à la sincérité des pouvoirs publics, certains de nos interlocuteurs, à Mekla, certifient qu'ils n'ont pas encore pris d'option définitive par rapport à l'évènement du 10 mai prochain. “Nous avons noté deux tendances chez les électeurs. Une partie garde l'espoir et l'autre est désabusée. Le fait d'entendre que des candidats ont acheté leur place sur les listes électorales dégoûtent les citoyens”, reconnaît Mohamed Meziani, placé en deuxième position sur la liste du Parti des travailleurs dans la ville des Genêts, après Mme Yefsah, directrice de la cité universitaire. “Nous avons animé des dizaines de conférences dans pratiquement toutes les communes de la wilaya. Partout, les préoccupations des citoyens sont centrées sur l'emploi et surtout le travail précaire”, rapporte-t-il. Le taux de chômage, dans la région, est nettement supérieur à la moyenne nationale, en raison des retards considérables accusés dans la réalisation des programmes locaux de développement économique et social. Une réalité qui rend davantage illusoire les discours distillés par les postulants à la députation en direction des 620 000 électeurs de la Grande-Kabylie. À Maâtkas, les panneaux d'affichage, plantés sur les trottoirs pour les besoins de la campagne pour les législatives, sont arrachés et jetés à terre. Jeudi matin, quelques heures après la libération de l'entrepreneur, kidnappé le 25 avril dernier, l'appel à la grève générale est suspendu. Les habitudes du quotidien ont repris leur cours dans une indifférence avérée vis-à-vis des élections. “Le FFS est le seul parti qui a tenu un meeting sur la place publique de Souk El-Thenine, au lendemain de l'enlèvement et sous une pluie battante. Il a rassemblé environ 500 personnes”, affirme le Dr Rachid Halit, tête de liste du parti présidé par Aït Ahmed, pour attester de leur implantation dans la localité. Pourtant, lors de notre passage, aussi bien le siège local du FFS que celui du RCD étaient fermés. “Nous avons respecté le mot d'ordre à la grève. Mais actuellement, il est ouvert”, explique un animateur de la campagne électorale du plus vieux parti de l'opposition. “Ce n'est pas facile de surmonter la désaffection des électeurs du politique. Ce n'est pas circonscrit à Tizi Ouzou. C'est pour cette raison que dans notre stratégie de campagne, le message prioritaire est adressé à la population. Nous avons évité les polémiques”, souligne le Dr Halit. Trente partis politiques et deux listes indépendantes, dont l'une — Initiative citoyenne — est parrainée par l'ANR, se disputent les quinze sièges de l'APN, réservés à la wilaya de Tizi Ouzou. Pour le FFS, la promptitude du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales à valider la constitution d'une multitude de nouvelles formations politiques à quelques semaines du scrutin cachait une velléité de fragmenter l'électorat. “Nous sommes pour la liberté de création de partis politiques. Mais nous n'avons pas pu nous empêcher de penser qu'on a voulu enlever des voix aux partis traditionnels et affaiblir leur présence potentiel à l'APN”, analyse M. Halit. Il faut croire que des sigles, fraîchement incrustés sur la scène politique, mettent le paquet pour se frayer un chemin vers l'Assemblée nationale. Le parti Ettaâcil habille plusieurs façades de bâtiment, au centre-ville, de posters géants à l'effigie de sa candidate tête de liste. Ramdane Abbache, leader de la liste électorale du Parti El-Fedj El-Jadid, parti de Tahar Benbaïbèche, a loué pour une durée de deux mois un local dans la rue la plus animée de la ville qu'il a transformé en permanence électorale. Pour cette opération, il a déboursé 200 000 DA de loyer. “C'est lui qui finance une bonne partie de la campagne. Il dépense jusqu'à 30 000 DA par jour en frais de campagne”, soutient Abdi Brahim, un partisan. Pour ces candidats, dont la majorité sort de l'ombre, l'objectif est d'acquérir, vaille que vaille, le confortable statut de parlementaire. Les partis politiques, nouvellement créés, offrent un avantage à ceux qui n'ont jamais été structurés puisqu'ils ne posent pas, comme préalable, l'ancienneté de l'adhésion comme le font les grosses cylindrées à l'instar du FLN, du RND, le Parti des travailleurs et autres. “Nous avons animé une campagne de proximité. Nous sentons une adhésion autour de notre liste car MM. Benbaïbèche et Abbache sont des anciens de l'Organisation nationale des enfants de chouhada”, affirme M. Abdi. Le même optimisme est exprimé du côté de ses concurrents. Chacun estime pouvoir engranger le nombre indispensable de voix pour l'élire à l'APN. 270 structures publiques (57 centres culturels et maisons de jeunes, 144 places publiques, 7 salles de cinéma, 20 salles polyvalentes et 42 stades et aires de jeux), ont été réquisitionnées par l'administration centrale pour la campagne électorale pour les législatives dans les 67 communes que compte la wilaya. Plus d'un millier de meetings et autant de rencontres de proximité ont été organisés durant les trois semaines qu'elle aura duré. Pourtant à moins d'une semaine des législatives, il s'avère aléatoire d'avancer les noms des vainqueurs potentiels et même de pronostiquer le taux de participation. Les candidats, présents sur trente-deux listes, ont-ils réellement réussi à fédérer autour de leur programme, les électeurs et surtout à transcender leurs réticences et leur désintéressement ? Les urnes assèneront leur verdict le 10 mai au soir. S. H.