Résumé : Kamel dévoile à Louisa que sa mère faisait des économies de bouts de chandelles. Elle économisait sou par sou, afin d'épater à chaque voyage les gens du bled. Louisa frissonna. De dépit ou de froid ? Elle n'en savait rien. Kamel allume le poêle à charbon. Il se retourne vers moi en souriant : - Le feu prend rapidement… Dans quelques minutes, nous aurons chaud. Je prends de la semoule dans le placard, et me met à préparer ma galette. Ma marmite dégageait déjà de la vapeur. Les patates seraient bientôt cuites à point. Quelle misère ! Me dis-je en pétrissant la pâte… Je vais devoir me soumettre à un régime draconien qui va éponger mes rondeurs et mes belles joues rebondies. Dans quelques jours, même mes parents ne vont pas me reconnaître… Kamel était allé s'habiller… Je l'entendais siffler… Il semblait heureux… Mais moi, le suis-je ? Il revint dans la cuisine et termine de siroter un fond de tasse de café : - Je vais t'emmener découvrir Paris un de ces jours… Tu ne seras pas déçue Louisa… Paris… c'est la capitale du monde… Tous les artistes, les savants et les grands de ce monde viennent ici pour s'imprégner de ses merveilles. Je regardais l'eau qui tombait du plafond et les murs lézardés de la cuisine : - C'est Paris ça aussi… Il rit : - Oui… Mais tu vas découvrir une autre facette de cette ville lumière… Une facette qui te plaira à coup sûr. - Tous les immeubles sont comme ça ? Kamel s'approche de moi et me prend par les épaules : - Non… Bien sûr que non… Il y a des immeubles et des constructions qui te laisseront sans voix… Les châteaux des siècles derniers te replongeront dans le passé. Tu verras des villas, des habitations pour aristocrates et des immeubles fraîchement construits avec ascenseurs, moquettes, tapis et tout le luxe. - Pourquoi restez-vous alors dans ce grenier ? Il me serre contre lui : - Tu vois Louisa… Pour les Parisiens, nous avons beau évoluer, nous resterons toujours des provinciaux… Des paysans, venus chercher du travail… Une main-d'œuvre bon marché dont ils ont besoin pour faire leur sale boulot, mais qu'ils n'admettent pas dans leur société. Tu vas vite découvrir le racisme ma chérie. - Le racisme… Qu'est-ce que c'est ? - Une discrimination… Une différence entre un Blanc et un Noir, un chrétien et un musulman, un Arabe et un Français… - Et tous les gens du bled sont exposés à cette discrimination ? - Oui, tous… Même ceux qui viennent des grandes villes… La France occupe notre pays… Elle vient aussi de sortir d'une guerre qui l'a affaiblie… Mais elle ne compte pas se laisser anéantir… Pour cela, le gouvernement entame des campagnes de construction, d'industrialisation et surtout de modernisation… Il faut travailler… Travailler vite et bien… Alors pour cela, nous sommes rappelés à la rescousse. - Mais ton père était là bien avant cette guerre ! - Oui… J'ai grandi moi-même dans ce pays… Nous avons des papiers qui prouvent que nous vivons à Paris depuis la fin de la première guerre mondiale… Nous sommes comptés parmi les premiers convois d'émigrés qui sont arrivés en France pour faire le dur boulot. Mon père a eu peut-être la chance d'être orienté vers un bureau de poste… Il était malade et trop faible pour travailler dans les mines de charbon ou avec les éboueurs. Je hoche la tête : - Bien. Mais ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est comment avec vos deux salaires vous n'avez pas pu habiter un lieu moins délabré. Il pousse un soupir : - Je finirai par te loger dans un appartement plus spacieux et plus confortable Louisa… J'y ai d'ailleurs pensé… Mes deux sœurs sont maintenant toutes les deux mariées… L'une habite Bordeaux et l'autre Marseille… Mon frère Malek est sous les drapeaux en ce moment… Il va bientôt rentrer… Je vais en profiter pour tenter de persuader la vieille de mon intention de céder la place à autrui… Malek sera bien obligé de prendre femme aussi. - Il travaille lui aussi ? - Bien sûr… Il est chef de rayon dans un monoprix… - Alors il va penser à quitter les lieux avant que tu ne te prononces. - Non… Malek est très attaché à ma mère… C'est le benjamin de la famille… Et si elle a le choix, ma mère va préférer me voir partir moi, plutôt que lui. Je me rappelle ma marmite qui bouillait et je cours l'éteindre… Les pommes de terre étaient cuites… J'aplatis ma galette avant de la déposer sur le feu. Le poêle commençait à réchauffer les lieux… J'avais moins froid. Kamel me sourit : - Je tenterai de te rendre heureuse Louisa. (À suivre) Y. H.