Hmida Layachi renoue avec la scène. Une scène qui lui a manifestement manqué, puisqu'en une heure dix de spectacle, il a expérimenté les genres, par le biais d'un texte puissant par sa langue et sa construction qui emprunte à la structure du rituel de la transe. Une véritable performance portée par le oud, le goumbri et la voix d'un Larbi Bastam très inspiré. Hmida Layachi a présenté, avant-hier soir à l'auditorium du palais de la culture Moufdi-Zakaria, son monodrame, Qarine et son double. Un spectacle dans lequel le dramaturge et journaliste ressuscite un de ses personnages fétiches, Keddour Leblendi, qui dresse un sévère et juste réquisitoire sur les cinquante dernières années de l'indépendance. Un monodrame où l'auteur continue de réfléchir sur la problématique du pouvoir. Ce pouvoir qui enivre, qui pousse vers les pires excès et gangrène les relations humaines, même s'il attire, séduit et charme. Hmida Layachi – qui renoue avec la scène qui lui a vraisemblablement manqué – a offert une véritable performance, en incarnant Keddour Leblendi : mari de Mamia, père de neuf enfants et dont la maison est sur le point d'être détruite. Les autorités s'apprêtent à détruire son toit pour entamer les travaux d'une autoroute. Dans ses pérégrinations mentales où le rêve (le cauchemar plutôt) se confond avec la réalité, Keddour Leblendi interroge l'histoire, la mémoire commune et sa propre mémoire, pour réfléchir sur le devenir de l'Algérien cinquante ans après avoir arraché sa dignité. Il fustige tous les responsables également, confortablement installés sur “El-Koursi” (le trône), et grisé par le (semblant de) pouvoir qu'ils détiennent. Keddour Leblendi tire à boulets rouges sur ceux qui ont trahi les idéaux de 1954 et lui ont “confisqué” son innocence. Il va jusqu'à convoquer les martyrs dans un de ses voyages oniriques pour leur conter le cheminement de l'Algérie, de 1962 à 2012. Le tableau n'est pas que noir dans ce spectacle porté par le oud, le goumbri et la voix de Larbi Bastam. Il y a quelques embellies, notamment lorsque Keddour se remémore son enfance, raconte sa jeunesse et les petits traits caractéristiques de notre culture populaire : le bain maure, la référence aux saints patrons, la tenue vestimentaire, etc. Outre sa puissance sur le plan de la langue (populaire), le texte de Hmida Layachi renferme une importante dimension mystique. Le dramaturge emprunte à la structure de la transe notamment, puisqu'à chaque tirade, le personnage monte en puissance jusqu'à ce que sa pensée frôle le délire, puis redescend soudainement. Il a également effectué un travail intéressant sur l'alphabet de la langue arabe, et sur le principe de répétition qu'on retrouve dans les chants mystiques et qui est également caractéristique, entre autres, de l'histoire qui se répète, des gestes qu'on répète continuellement et même du langage (lieu commun). Hmida Layachi convoque parfois Artaud, crée un effet d'étrangeté (distanciation) par moments et utilise sans jamais user ou abuser de références culturelles. On retrouve tout de même avec plaisir la chaussure (symbole du pouvoir) qui nous place automatiquement dans les questionnements qui obsèdent l'auteur Hmida Layachi. Toutefois, dans ce spectacle écrit sur mesure, il y a une forme d'exaltation que nous n'avions vu ni dans Noun ni dans Layali Alamut, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Bien au contraire. S K