Un mois après ses cent jours de gouvernement, Ennahda légalise son alter ego, une formation salafiste. Beaucoup y voit une tactique du parti de Ghannouchi qui doit tenir son congrès national en juillet mais aussi une parade à ses multiples échecs en tant que parti au pouvoir. Le rapport de force n'a pas penché en sa faveur sur l'échiquier politique. La majorité silencieuse, environ 50%, ne se reconnaît dans aucun parti, selon un sondage. Vainqueur des élections en automne, le parti islamique qui domine le gouvernement et l'Assemblée constituante tunisienne fait la dure expérience du pouvoir. Dans les domaines économique et social et même la religion où il a du reculer à propos de la place de la charia dans la constitution post-Ben Ali, la tension monte. D'où cet appel d'air. Ghannouchi qui a plus d'un tour dans son sac pense ainsi garder la mise face à une menace plus radicale ! Le gouvernement tunisien dirigé par Ennahda vient de délivrer pour la première fois une licence à un parti salafiste, défenseur d'une vision beaucoup plus radicale et puritaine de l'islam. Les salafistes, qui appellent à la création d'un Etat islamique et à l'application intégrale de la charia, n'ont pas participé aux premières élections législatives de la Tunisie post-Ben Ali, remportées en octobre par les islamistes d'Ennahda, qui ont formé une coalition gouvernementale avec deux partis laïques. Grâce à sa légalisation, le parti Islah (Réforme) pourra en revanche participer aux prochaines législatives, programmées l'an prochain. Son chef, Mohamed Khoja se veut rassurant, comme tous les partis islamistes qui intègrent le jeu démocratique : son mouvement respecterait la démocratie et le caractère civil de l'Etat tunisien. “Certains courants religieux disent que la politique est sale et ne s'accorde pas avec la religion. Nous ne sommes pas d'accord avec eux et nous disons que l'islam est une religion de liberté et de démocratie”, a-t-il dit, ajoutant : “Nous n'imposerons rien, comme des vêtements, par exemple. Par contre, nous ne tolérerons aucune attaque contre nos rites religieux. Nous exprimerons les demandes des musulmans”. Vaste programme qui rejoint dans le fond celui d'Ennahda que la révolution du Jasmin a propulsé à la tête de l'Etat tunisien, avec pour mission de le réinventer. Depuis qu'il a remporté 89 sièges sur 217 à l'Assemblée constituante, lors des élections du 23 octobre 2011, Ennahda n'a pas arrêté d'essayer d'imprimer sa marque aux débats sur la future Constitution, mettant hors jeu les deux partis de gauche de son gouvernement de coalition. Mais, les attentes des Tunisiens ne pas d'ordre religieux. Le climat social est lourd et les insurgés qui ont fait chuter Le régime de Ben Ali, se disent prêts à redescendre dans la rue. Ennahda n'a pas ramené la tranquillité et menace de toucher à la tolérance légendaire du pays. Résultat, le tourisme, principale activité, est en panne. Les voyagistes espéraient une reprise après les élections, mais elle tarde à venir. Avec les salafistes, plus de restriction des libertés individuelles, ce sera donc fatal pour le tourisme. Ghannouchi comptait sur ses sponsors du Golfe pour apporter une touche d'embellie à l'économie (1 actif sur 5 est au chômage), il a dû se contenter de simples messages rassurants. Pas d'argent frais même avec la promesse de chasser les Occidentaux. Aujourd'hui, nombre d'acteurs économiques confient leur déception. “Nos dirigeants semblent en panne de stratégie pour relancer l'économie”, juge Fadhel Abdelkefi, président de la Bourse de Tunis. Ennahda qui soutenait les grèves avant les élections, stigmatise aujourd'hui les revendications des travailleurs. Ses relations tendues avec l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), l'ex-syndicat unique, sont une autre source d'inquiétude pour Ghannouchi. La tension a atteint son paroxysme il y a un mois environ, lorsque l'UGTT a accusé les militants d'Ennahda d'avoir vandalisé ses locaux. Le 25 février, des milliers de personnes, dont des leaders de l'opposition, ont manifesté à Tunis pour appeler à la chute du gouvernement aux couleurs islamistes. Ennahda y a vu une tentative de déstabilisation fomentée par des restes de l'ancien régime ! La thèse du complot n'est pas passée, Ennahda a fini par faire l'objet de critiques acerbes, tout comme le rôle de Rached Ghannouchi, son chef historique, accusé de confondre trop souvent le parti et le gouvernement. Ses propres dissensions ont été exposées au grand jour à l'Assemblée constituante, lors du débat sur la place de la charia dans la future Constitution. Son gouvernement ne s'intéresse pas assez au chômage, qui est le problème majeur de la Tunisie. Le sous-emploi des jeunes a été l'un des principaux facteurs du Printemps de Tunis. D. B