Expert de l'histoire de l'Algérie, natif de Constantine et proche du Parti socialiste, Benjamin Stora est l'une des personnalités les mieux indiquées pour montrer au nouveau président français la voie d'un meilleur avenir commun. Il expose sa recette dans une interview au journal en ligne Mediapart d'Edwy Plenel. Après avoir observé que le cinquantenaire de l'indépendance n'a pas donné lieu à une célébration officielle dans la France de Nicolas Sarkozy. L'historien préconise une “démarche pratique” car “la question n'est pas de faire un discours général sur la question coloniale, mais d'évoquer des exemples très précis”. “On peut citer l'affaire Audin, du nom de ce mathématicien enlevé en 1957 pendant la Bataille d'Alger, dont le corps n'a jamais été retrouvé. Peut-on déclassifier les archives ? Peut-on aussi déclassifier celles concernant la nuit du 17 octobre 1961, où des dizaines d'Algériens ont péri ? Ou bien les condamnés à mort algériens, exécutés en 1957 pendant la bataille d'Alger ? C'était le temps où François Mitterrand était ministre de la justice”, suggère M. Stora. “En réalité, dès que l'on aborde les questions pratiques, et que l'on quitte le terrain des dénonciations abstraites, on mesure immédiatement les difficultés. Du côté de la gauche, avec la responsabilité aux affaires de Guy Mollet, président du Conseil et responsable de la SFIO, et, du côté de la droite, avec celle du général de Gaulle. Ce sont des problèmes touchant à l'histoire de France”, dit-il. “Sur ce sujet, il faut, à mon sens, adopter une démarche pratique. Comme lorsque François Hollande s'est rendu le 17 octobre 2011 dernier sur le pont de Clichy, où des Algériens ont été jetés dans la Seine en octobre 1961. C'était un geste pratique, significatif et important”. Son premier signal politique après son investiture (le second tour de la primaire socialiste a eu lieu le 16 octobre). Interrogé sur d'éventuelles excuses de la France, réclamées notamment par le FLN, Benjamin Stora souhaite “une reconnaissance officielle de ce qui s'est réellement passé”. “En France, on n'en est pas aux excuses. Les gens n'imaginent pas à quel point on n'en est qu'au stade de la connaissance des faits. J'ai été extrêmement surpris par les réactions en mars 2012 au lendemain de la diffusion de mon documentaire ‘'La Déchirure'', réalisé par Gabriel Le Bomin. Beaucoup de gens m'ont dit qu'ils ne savaient pas qu'on avait utilisé le napalm en Algérie ou que des centaines de milliers de personnes avaient été placées dans des camps de regroupements. On compte 1,5 million de paysans algériens déplacés, c'est énorme ! Les gens ne le savent pas. La France ne l'a jamais reconnu. Elle s'abritait derrière le fait que les Algériens avaient aussi des problèmes avec leur histoire”, relève l'historien. Selon lui, la reconnaissance pourrait porter sur certains faits. “Par exemple, sur les déplacements de 1,5 million de paysans algériens. Ils figurent dans un rapport publié en France en 1959 par un certain… Michel Rocard. Mais ce rapport n'a jamais été reconnu officiellement par l'Etat, ce n'est que le travail d'un jeune haut fonctionnaire de l'époque. Voilà un exemple très simple de choses qui pourraient être faites dans la perspective du 5 juillet 2012. Mais, encore une fois, c'est très compliqué car cela touche à la fois la classe politique de gauche et de droite.” “Les socialistes de la SFIO ont laissé un mauvais souvenir aux Algériens. Ce souvenir ne s'est pas effacé. L'engagement pour la paix, puis pour l'indépendance de l'Algérie prônée par les socialistes et les communistes à la fin de la guerre, n'a pas effacé leur attitude du début, entre 1954 et 1957. Les Algériens n'ont pas oublié. En France, on regarde l'histoire par la fin, l'année 1962, c'est-à-dire par le massacre des harkis, l'exode des pieds-noirs, l'anticolonialisme de la gauche. Les Algériens, eux, regardent cette histoire par le début : pourquoi ils ont dû rentrer en guerre, pourquoi ils se sont révoltés. Les Algériens ont un rapport par les origines de cette longue histoire ; quand les Français en ont un par la fin, terrible, perçue comme une apocalypse de violence absurde, un engrenage.” A. O.