Dans une tribune parue chez un confrère francophone algérien, François Hollande, candidat à l'Elysée, évoque le 19 Mars 1962 avec ce remarquable sens de la synthèse dont il a fait sa marque distinctive à la tête d'un parti trans-courants comme le PS. Esprit conciliant, prompt à l'apaisement, il plaide pour une troisième voie «entre une repentance jamais formulée et un oubli forcément coupable». Ce chemin médian passerait par «un regard lucide, responsable sur (le) passé colonial» de la France. Il invite ainsi le PS et la gauche à un travail de mémoire qui n'a de valeur que «s'il est aussi une promesse d'avenir». Cette obligation «vaut pour la gauche française dans le regard qu'elle porte sur sa propre histoire». Traduire sa propre histoire avec la colonisation et la guerre d'Indépendance de l'Algérie. Cet homme de la Ve République ne porte pas le poids culpabilisant de la guerre. Il ne l'a pas faite. Il ne pouvait pas non plus la dénoncer et, a contrario, défendre «l'Algérie française». Loi de la biologie oblige, il avait à peine trois mois le premier jour de la Toussaint et huit ans à la fin de la colonisation. Mais, derrière le rideau des mots vêtus du velours de la diplomatie et mis à part le souci de faire cas de toutes les douleurs, toutes les blessures, toutes les mémoires traumatisées, on sent un Hollande gêné. Le politique évite soigneusement de parler du rôle clair-obscur de la gauche française et celui, beaucoup plus sombre, des socialistes, durant la guerre de Libération. Tout au plus, évoque-t-il, à coup d'euphémisme de bienséance, une «sombre période de la conscience nationale» que fut cette guerre. Sous la IVe République, dont le Premier Novembre 1954 sonna le glas en précipitant la chute dans le fracas des armes et la fureur de l'opprobre, le rôle des socialistes fut accablant et le poids de leur responsabilité lourd comme l'énorme rocher de Sisyphe. On comprend dès lors que François Hollande n'ait pas éprouvé le besoin d'évoquer Guy Mollet, François Mitterrand et Robert Lacoste. Trois figures tristement marquantes de la conduite de la guerre contre le FLN et le peuple algérien. On le comprend bien. Difficile est donc pour lui de rappeler que Guy Mollet, président du Conseil, a fait voter les pouvoirs spéciaux à l'armée française et qu'il avait fait le choix du rouleau compresseur militaire en lieu et place de la négociation. Tout aussi ardu de se souvenir que c'est Mitterrand, garde des Sceaux et numéro deux du gouvernement, qui a préparé l'arsenal juridique des pouvoirs spéciaux. C'est lui-même l'auteur de la belliqueuse formule «la négociation, c'est la guerre», qui a refusé l'abolition de la peine de mort et les mesures de grâce pour les condamnés à mort algériens. Quand il quitte le ministère de la Justice à la fin de mai 1957, 45 condamnés à mort algériens ont été guillotinés en 16 mois. Le premier d'entre ces braves parmi les plus braves, fut Ahmed Zabana, le Guy Mocquet algérien, guillotiné le 19 juin 1956. Il y eut aussi, autre brave d'entre les plus braves, méconnu et jamais célébré, Fernand Yveton, communiste, militant FLN, patriote algérien, que Mitterrand refusa de gracier. Guillotiné le 11 février 1957. Il y avait alors chez Mitterrand, naguère homme de droite nationaliste au passé trouble et opaque, la croyance d'une guerre-éclair contre le FLN. C'était l'heure de la théorie du «dernier quart d'heure», énoncée par Robert Lacoste, ministre socialiste résidant en Algérie et ministre de l'Algérie en France. Guy Mollet avait par ailleurs couvert une initiative de l'armée française qui détourna l'avion de dirigeants historiques du FLN en partance du Maroc. Guy Mollet avait donc cautionné le premier acte de piraterie aérienne de l'histoire. Il avait également poussé la Grande-Bretagne dans l'expédition militaire de Suez contre l'Egypte nassérienne qui soutenait la cause indépendantiste algérienne. Certes, tous les socialistes français ne furent pas des va-t-en-guerre. Michel Rocard avait dénoncé la politique du tout-répressif de Guy Mollet, avait quitté la SFIO et rejoint le PSA, le Parti socialiste autonome, opposé à la guerre d'Algérie. Lionel Jospin, trotskyste lambertiste, futur Premier ministre socialiste comme Michel Rocard, avait combattu lui aussi la guerre contre le FLN. François Hollande, qui a fait ses classes et ses preuves politiques auprès de François Mitterrand et de Lionel Jospin, a, lui, fait un geste de reconnaissance et d'apaisement lorsque, le 17 octobre 2011, il avait jeté une rose dans la Seine, à la mémoire des Algériens massacrés le 17 octobre 1961 à Paris. Ce jour-là, le déjà candidat à l'élection présidentielle française avait esquissé sa théorie de la troisième voie au sujet de la mémoire et de l'histoire de la guerre d'Algérie. Du pur Hollande dans le texte : «Il faut que la vérité soit dite. Sans repentance, ni mise en accusation particulière. Reconnaître ce qui s'est produit. Aujourd'hui, je le fais en tant que socialiste. Ensuite, ce sera sans doute à la République de le faire.» Hollande, qui ne dit pas s'il le ferait, lui, si les Français l'élisaient en mai à l'Elysée, ne milite pas aujourd'hui, contrairement à l'historien Benjamin Stora, pour une «commission réconciliation et vérité» franco-algérienne. A défaut de réconciliation entre la France et l'Algérie, allez Monsieur Hollande, juste la vérité sur la responsabilité historique des socialistes français ! Ce serait alors votre seconde rose à jeter dans la Seine. Pas pour la gloire, mais pour l'Histoire. N. K.