Chaque mois, les services de sécurité enregistrent une moyenne de cinq batailles rangées à Alger. Les services de sécurité semblent être dépassés et conseillent aux victimes de déposer des plaintes contre “X”. On les appelle “Aâraya”. Au sens académique du terme, eux, ce sont de jeunes voyous, sans foi ni loi. Ils sèment la terreur dans les nouvelles cités, baptisées 1 600, 1 300 ou encore 1 800-Logements. Mais jamais, 5 000, 8 000 ou 12 000 habitants. Organisés en clans, ils refusent les “intrus”. C'est-à-dire ceux qui ne font pas partie de leur passé. Autrement dit, de leur quartier, donc de leur “houma”. Ils s'imposent par les armes, la force, la violence, les agressions et la menace de mort. Sans scrupule. Sans pitié envers celui qui viendra les raisonner. Ils n'ont peur ni de l'Etat ni de la justice, encore moins des policiers et des gendarmes. Ces derniers, souvent sollicités à intervenir dans ces quartiers chauds, se limitent à raisonner les victimes par le seul rituel : “Venez déposer une plainte contre X.” Par peur d'un embrasement, donc d'émeutes, les services de sécurité jouent l'apaisement. Entre-temps, la victime se retire sur la pointe des pieds et ferme les yeux. Car, toute plainte déposée fera l'objet de graves représailles, donc de menaces de mort ou d'actes de vandalisme. Ce qui s'est passé vendredi et lundi derniers à Tessala El-Merdja relève d'un pur scénario hitchcockien. Un jeune homme est passé à tabac par une trentaine de voyous jusqu'à l'envoyer dans un coma profond. Les services de sécurité réagissent : 22 arrestations sur-le-champ, en attendant les 10 autres acolytes, actuellement en fuite, et incriminés dans cette gravissime affaire qui a plongé cette localité et tout l'Algérois dans l'émoi. Bien avant, des trafiquants de drogue allaient s'entretuer pour disputer le marché du kif traité dans les alentours, avec la complicité de narcotrafiquants des régions de Blida, Tipasa et Boufarik. Issus du quartier de Doudou-Mokhtar (Hydra) et de Zaâtcha (Sidi-M'hamed), de Bab El-Oued ou de Diar Echams, de Beni Messous, d'Aïn Benian, Aïn Naâdja ou Gué de Constantine, les habitants des nouvelles cités Aadl ont, dans leur grande majorité, grandi à Alger. Donc, des Algérois habitués à se confondre avec des dizaines de nationalités, d'ethnies, de religions, de cultures, et j'en passe. Des bidonvilles aux… ghettos ! Mais est-ce le cas avec les cités de Tessala El-Merdja, les 1 600 et 1 800-Logements de Sebala, d'El-Achour I, d'El-Achour II, de Bab Ezzouar (les Bananiers), d'Ouled Fayet et autres Aïn Malha où les habitants rasent les murs pour rentrer chez eux ? “On dirait que les 48 wilayas du pays sont invités dans nos cités. Ce qui est une bonne chose, car nous avons toujours vécu dans la différence et la tolérance. Mais, à mon avis, ce qui ce passe dans ces cités-dortoirs relève de la pure guerre des clans et de gangs animés par une volonté d'imposer un mode de vie. C'est-à-dire qu'il y a des gens qui veulent faire croire aux habitants qu'ils sont les maîtres à bord et que la sécurité n'est qu'un vain mot”, témoigne Hamza, un Algérois de souche. Ce dernier regrette le jour où il a déménagé de son ancien quartier où régnait l'accalmie malgré la crise du logement. “Les élèves sont traumatisés. Les familles aussi. Nous vivons un climat d'insécurité total”, peste-t-il encore. Dans ces cités vite transformées en ghettos par les voyous, l'insécurité s'est installée comme un modèle de vie. De jour comme de nuit. Voitures saccagées, teintées volontairement de peintures laquées ou sauvagement rayées au moyen de clous, parkings sauvages et menace des automobilistes de monnayer entre 500 et 1 000 DA/mois, absence d'espaces de stationnement et d'éclairage, vente et consommation de drogue et de psychotropes, violation de domiciles, intimidation des pères de famille, menace de chefs d'établissements scolaires limitrophes, pour ne citer que ces cas de figure, on a cette impression que ces vulgaires voyous savent pertinemment que nul ne les arrêtera tant qu'ils sont les seigneurs de ces bâtiments et ces tours où le dernier mot leur revient. “Cette situation est le propre des Algérois. Il y a de nouvelles cités partout. À Oran, Béjaïa, Constantine, Annaba ou encore Tizi Ouzou, les gens cohabitent naturellement. Ici, à Alger, on dirait que certains ont quitté le bidonville non pas pour prospérer, mais pour créer leur ghetto. Je me demande bien que fait l'Etat ? Car il est clair que la violence va crescendo et va toucher toutes les cités d'Alger”, témoigne un commerçant de Tixeraïne, visiblement outré par le comportement de ces “débarqués” qui refusent la cohabitation. Des batailles rangées, des vendettas, de la violence en permanence et du défi de l'autorité de l'Etat, donc de la justice, ces voyous croient dur comme fer que ces cités sont sous leur emprise. Qui les arrêtera ? Faudra-t-il attendre qu'il y ait mort d'homme pour convoquer ces rituelles réunions de réconciliation entre les victimes et les bourreaux ? Jusqu'à quand l'Etat fera-il la sourde oreille aux doléances des populations en souffrance et qui font face, au quotidien, à un nouveau terrorisme urbain ? Les réponses sont dans l'esprit des lois, certes, mais qui osera les appliquer ? À moins que… Repères Plus de 50 000 mineurs sont victimes, chaque année, de plusieurs formes de violence. 3 000 à 3 500 mineurs sont impliqués, chaque année, dans les crimes et les délits. Au moins 300 adolescents ont été arrêtés au mois d'avril 2012 par les services de sécurité. La Gendarmerie nationale estime, en moyenne, à 220 mineurs impliqués, chaque mois. Au moins 160 mineurs sont arrêtés, chaque mois, pour des infractions courantes (vol, agressions, homicides volontaires, menace…etc.), selon la GN. Au moins 30 mineurs sont recrutés chaque mois dans les réseaux du crime organisé (trafic de drogue, trafic et vol de voitures, armes et munitions, contrebande, etc.) Selon la GN, dans les 6 169 affaires traitées en avril 2012, 6 231 personnes ont été arrêtées, dont 218 mineurs impliqués. Les pères de familles, mais aussi les mamans veuves, recourent davantage à la justice pour dénoncer leurs propres enfants qui menacent la cohésion familiale et sociale. F. B.