Le Festival national de la musique diwane a réussi quelques-uns de ses nombreux paris. Il a permis de sortir une musique ancestrale de son cadre originel (la lila) et de permettre aux diwanes de se produire sur scène, et même de maîtriser l'art de la scène. La sixième édition du Festival national de la musique diwane, qui s'est tenue à Béchar (au stade En-Nasr pour les scènes, et à la Maison de la culture pour les conférences et les projections), du 18 au 24 mai dernier, a choisi trois formations : Gnawi El-Ouaha, Diwane El-Bahdja et Nora Gnawa, qui représenteront le diwane au prochain festival international d'Alger, prévu pour le mois de juillet. Le jury, par la voix de son président Lahcène Moussaoui, a plaidé pour un sursaut qualitatif pour les prochaines éditions, tout en défendant un diwane qui prendrait en compte la modernité mais sans se vider de sa substance. Un diwane qui se définirait comme un genre musical porteur d'une culture profondément ancrée dans la tradition. Une tradition appréhendée par la musique, mais qui renferme en elle des mystères, des rites, une forte dimension communautaire, des festivités, etc. Durant le festival, le programme scientifique a été renforcé afin de permettre aux non-initiés d'apprendre davantage sur le genre musical et sur la culture qui n'a pas fini de nous surprendre. Seule certitude : l'appellation. Le diwane algérien trouve son équivalent gnaoua au Maroc (avec lesquels nous partageons plus de 300 bordj), stambali en Tunisie, stambouli en Libye et zar en Egypte. Les appellations, la hiérarchisation et les couleurs changent et ne posent plus problème, mais les choses se corsent lorsqu'on essaie de connaître l'origine des diwanes. Personne ne peut clairement répondre à cette question, bien que la thèse la plus courante est celle relative au fait que les diwanes viennent d'Afrique subsaharienne, notamment de Guinée. Mais là encore, rien n'est définitif ou prouvé scientifiquement. Car les recherches sur le diwane en Algérie se comptent sur les doigts d'une seule main, et les centres de recherche ne se sont pas encore intéressés à ce domaine, qui s'avère être comme une île inexplorée. Les conférenciers qui se sont succédé à la Maison de la culture de Béchar ont justement signalé ce manque, notamment Sidi Mohamed R. Belkhadem qui avait soulevé que “les approches sur le diwane en Algérie sont au degré zéro”. Pour l'instant, nous appréhendons le diwane par la musique, qui s'avère un excellent médiateur entre les diwanes eux-mêmes et le reste de la population. D'ailleurs, la plus grande réussite du festival est l'ouverture des diwanes sur l'autre… sur les profanes d'entre nous, qui ne sont pas des initiés. Ils abordent leur culture, leurs pratiques et leur rituel sans complexe, et en débattent dans un grand esprit d'ouverture. Ils ont surtout pris conscience que leur musique “sacrée” peut toucher plus de monde si elle est fusionnée à d'autres sonorités, si elle est traduite vers l'arabe notamment et si elle prend en considération ce monde qui évolue. La fusion, un accès pour la modernité Les diwanes affirment que le diwane conserve toute son authenticité dans le cadre de la “lila” (sacré), mais peut évoluer artistiquement dans le cadre de la scène (profane). Nora Gnawa, qui pratique le genre diwane -longtemps réservé aux hommes n'était la révolution qu'avait créée Hasna El-Bécharia en s'illustrant sur le guembri-, nous a indiqué qu'elle pratiquait “el-harfi” (le traditionnel) avec un guembri et des crotales, mais “je fais aussi de la fusion, car un artiste est aussi à l'écoute du public”. Pour sa part, maâlem Hakem de Béchar, qui a fabriqué un guembri à six cordes (trois cordes aiguës et trois cordes graves) destiné principalement à la fusion, considère que “la fusion est une bonne chose. La "lila" a son cadre spécifique (Gaâda diwane), et ça ne doit pas changer, mais je fais aussi de la fusion avec un groupe où il y a, en plus du guembri et des crotales, un clavier et un mandole. Nous animons principalement les fêtes.” Pour maâlem Mejbar, qui s'est produit aux côtés de la jeune formation The Grooz, il est impératif d'exploiter le patrimoine et d'y apporter sa touche personnelle. “Je n'ai aucun problème avec la modernisation dans le diwane. Bien au contraire. Le diwane conserve son caractère sacré et traditionnel dans les lila car il y a une structure et un code respectés par tous les diwanes, mais sur scène, chacun doit apporter sa touche. La modernisation est surtout une recherche et une intégration de nouveaux instruments.” Il nous expliquera également qu'il est essentiel pour lui d'élaborer un sujet à partir d'un bordj, puis une musique, puis des arrangements qui s'inscrivent dans l'air du temps. Pour lui, comme pour beaucoup, nous enregistrons un grand retard dans le domaine de la fusion, par rapport “au Maroc, à l'Europe et même aux USA. Il y a de grands musiciens qui s'intègrent dans la musique diwane, mais notre problème est qu'on tourne toujours autour des mêmes bordj, alors qu'il y a des choses que l'on n'a pas encore écoutées”. Beaucoup de choses restent à faire encore, mais le Festival national de la musique diwane de Béchar est une excellente passerelle pour les diwanes de communiquer avec le reste des Algériens, et même le reste du monde, en attendant des thèses, des études et beaucoup de publications sur le sujet. S K