Grèves des professeurs de lycée Les leçons d'un mouvement Les racines du conflit qui a paralysé les établissements durant trois mois sont, en fait, très profondes et très anciennes. Ce qui a soudé le corps des enseignants et lui a permis de résister aux manœuvres dilatoires et aux intimidations des autorités. La grève des professeurs de lycée est, certes, finie au grand bonheur des élèves et de leurs parents, mais les leçons dont elle est porteuse restent à tirer. Et la première question qui mérite d'être posée, maintenant qu'elle se conjugue déjà au passé récent, est de se demander pourquoi un tel mouvement de contestation, d'une telle ampleur, dans un secteur qui donnait pourtant l'apparence d'un fleuve tranquille ? En fait, la colère existait depuis des années, quoique dans une forme latente. Elle est alimentée par des années de frustrations en série, qui vont de la baisse du pouvoir d'achat, la suppression des quotas de logements qui, auparavant, revenaient automatiquement au secteur, en passant enfin par la dégradation du statut social de l'enseignant relégué, aujourd'hui, au bas de l'échelle. Le slogan “le combat pour la dignité” montre bien cette quête de la reconnaissance sociale de la part des grévistes. Si la colère des enseignants a été étouffée jusque-là, c'est en grande partie à cause du travail de sape mené par les syndicats inféodés au ministère de l'éducation, notamment la FNTE. Cette organisation, comme on a eu le loisir de le constater au cours de ces trois mois, a abandonné sa vocation naturelle, qui est d'être, envers et contre tous, avec les enseignants, pour se retrouver dans la position de porte-parole du ministère de l'éducation, voire de supplétif des forces de répression. Car la grève de trois jours à laquelle elle avait appelée pour y renoncer curieusement juste après, parce que des soi-disant augmentations ont été accordées entretemps, relève d'un travail de police qui vise à casser la dynamique de contestation. A l'action néfaste des syndicats-maison, s'ajoutent les clivages politiques qui ont jusque-là rendu impossible toute démarche consensuelle des enseignants autour de revendications salariales. Et le pouvoir a eu beau jeu d'utiliser, voire de rentabiliser, les antagonismes politiques des professeurs pour étouffer dans l'œuf toute velléité de contestation. Le grand mérite du Cnapest et du CLA est d'avoir su persuader leurs adhérents quant à la nécessité vitale de mettre entre parenthèses leurs sympathies idéologiques, au demeurant légitimes, pour situer le combat dans le strict plan de la revendication socioprofessionnelle. “Notre mouvement est transpartisan, mais nous n'avons aucun complexe à avoir des opinions politiques individuelles”, martelait souvent Méziane Mériane en réponse aux accusations du ministère de l'intérieur qui croyait pouvoir torpiller la révolte des enseignants par l'étiquetage politique. “Le procédé, qui avait fait recette par le passé, s'est avéré cette fois-ci aussi vain que dérisoire”. Et c'est là, indiscutablement, un des facteurs de puissance du mouvement, en réussissant à fédérer toutes les sensibilités politico-philosophiques. L'autre question, c'est de savoir aussi pourquoi le mouvement a duré aussi longtemps, c'est-à-dire tout un trimestre. Une première dans les annales des luttes syndicales au sein de l'éducation. La réponse est à chercher dans la détermination sans faille des enseignants grévistes qui ont résisté à toutes sortes de pressions. Manipulations et radiations Et Dieu seul sait que le gouvernement a joué sur plusieurs registres, allant de la manipulation des parents d'élèves, des radiations en passant aussi par l'intox distillée à travers les médias publics et la télé en particulier. Il est vrai qu'arrivés à un tel niveau “d'humiliation”, pour reprendre un mot souvent entendu dans les rassemblements du Cnapest et du CLA, les enseignants n'avaient d'autres alternatives que de tenir la dragée haute pour se faire entendre d'un pouvoir habitué jusque-là à des syndicats, genre FNTE, Unpef, prompts à faire patte blanche, souvent à peu de frais d'ailleurs. C'est là encore l'une des causes de la réussite de ce mouvement de contestation qui a réellement fait peur au pouvoir, au point que celui-ci s'est vu contraint de lui fermer la porte de l'agrément. Mais ce n'est pas parce que cet agrément, qui n'est au demeurant qu'une formalité, est refusé par le département de Tayeb Louh, que c'en est fini du Cnapest et du CLA. La base, à qui ces deux structures ont redonné les raisons de croire à nouveau à l'action syndicale, jusque-là discréditée par la FNTE and co, les a consacrées. Meziane Mériane et Redouane Osmane sont les nouveaux porte-étendards d'un syndicalisme réhabilité. Et maintenant que les cours ont repris, car ils devaient bien reprendre, sous peine de voir toute l'opinion se retourner contre les grévistes, il s'agit pour ces derniers, mais surtout pour leurs dirigeants, de sauvegarder cette dynamique extraordinaire, laquelle prouve, et c'est peut-être là l'essentiel, que la société civile n'a pas abdiqué, surtout quand il y va de la dignité du citoyen. L'enjeu pour les responsables du Cnapest et du CLA est de savoir rebondir, après la reprise des cours. Cela passe, nécessairement, par la mise en place de mécanismes organiques qui puissent garantir à la dynamique de protestation sa pérennité et obliger les pouvoirs publics à reconnaître le statut de partenaire incontournable à ses animateurs. N. S. Le CNES interpelle Benbouzid “Levez toutes les sanctions !” “S'appuyant sur les promesses et les garanties des pouvoirs publics de lever toutes les sanctions qui pèsent sur les enseignants du secondaire du fait de la grève, les syndicats CLA et Cnapest ont répondu sagement à l'appel de leurs élèves et de toute la société pour mettre fin à leur mouvement de grève et éloigner le spectre de l'année blanche aux conséquences incalculables. La reprise tant souhaitée des cours qui devait se faire dimanche 7 et lundi 8 décembre 2003, risque d'échouer lamentablement du fait du “non-respect” des engagements fermes pris par la tutelle. Cette fuite en avant supplémentaire des pouvoirs publics qui veulent faire payer l'effet de grève aux seuls délégués s'avère une faute grave qui peut remettre rapidement le feu aux poudres et nous ramener à la situation antérieure. Le CNES, qui a suivi de près le conflit et qui s'est prononcé clairement sur ce sujet, lance un appel pressant aux autorités publiques pour mettre fin à cette situation qui n'a que trop duré en levant immédiatement toutes les sanctions et mesures coercitives qui affectent les enseignants du secondaires, y compris leurs élus et ceux qui ont été remplacés, pour permettre d'entrevoir des perspective d'une reprise effective et sereine de l'enseignement dans le cycle secondaire et envisager aussi un plan de rattrapage à même de sauver l'année scolaire. Le CNES, conformément aux résolutions de son dernier conseil national : - appelle tous les enseignants du supérieur à manifester leur solidarité active en participant à la journée de protestation qui sera organisée dans leurs établissements le mercredi 10/12/2003. - demande à toutes les sections d'envisager et d'entreprendre rapidement, au niveau local, avec les enseignants affiliés au Cnapest et les autres acteurs sociaux, des actions à même de : * rétablir tous les enseignants dans leurs droits ; * faire échec à cette énième tentative de mise au pas de la corporation ; * et contrecarrer résolument cette stratégie de musellement de toute activité syndicale autonome, stratégie par laquelle les pouvoirs publics veulent maintenir leur hégémonie sur les travailleurs en privilégiant des relais syndicaux maison.”