S'il subsistait encore un doute sur la déliquescence de l'Etat, Ouyahia vient de le dissiper. “L'argent commande en Algérie, il commence à gouverner et à devenir un argent mafieux”, a déclaré, samedi, Ahmed Ouyahia, lors d'une conférence de presse, au lendemain de la tenue de la 6e session du conseil national du RND, précisant qu'il s'exprimait en tant que secrétaire général de ce parti, mais aussi en tant que Premier ministre. Ce n'est pas la première fois qu'il avoue l'impuissance de l'Etat face aux lobbies de l'informel. Invité par le Forum des chefs d'entreprise avant les élections du 10 mai dernier, le secrétaire général du RND a estimé que l'informel constituait la plus grande menace sur l'Algérie. “Nous avons vécu une bataille terrible au début de l'année dernière dans laquelle la stabilité nationale était en danger”, a-t-il rappelé. “Les gens disaient n'hat 10 milliards ou nehrg'ha (je mets 10 milliards et je brûle tout). Vous m'imposez le chèque, je vais vous montrer qui je suis”, disaient les barons de l'informel, selon M. Ouyahia. Interpellé par un responsable de la société Algal Plus de M'sila sur l'agression à l'arme blanche que les dirigeants de cette entreprise ont subie, Ahmed Ouyahia, tout en qualifiant de pillage ce que vivent les dirigeants d'Algal Plus, lui suggère “d'organiser une conférence de presse pour dénoncer cet état de fait”. “S'il y a des autorités qui vous disent nous ne vous protégeons pas, alors nous sommes arrivés au fond du puits”, a-t-il estimé. Ahmed Ouyahia a reconnu “l'échec du gouvernement”, mais a toutefois estimé que “c'est un échec collectif” et que “la responsabilité est collective”. La situation calamiteuse dans laquelle se trouve aujourd'hui le pays n'est pas un phénomène de génération spontanée. Elle est le produit d'une gouvernance des affaires de l'Etat. Cette situation est le produit de la bureaucratie dominante en Algérie favorisant ainsi la corruption. Les chefs d'entreprise, des économistes, mais également, des responsables politiques ont alerté, depuis longtemps, sur les menaces que fait peser sur l'Algérie l'économie informelle. Omar Ramdane, en 2003, à l'époque président du Forum des chefs d'entreprise, évoquait “le risque de voir notre économie se transformer en une économie mafieuse”. “Il sera difficile de mettre de l'ordre”, a-t-il averti. Le temps lui a donné raison. L'économie informelle a pris des proportions telles qu'elle constitue une menace pour l'économie nationale, un danger pour l'entreprise algérienne de production. Le recul du gouvernement sur le chèque démontre la capacité de nuisance des barons de l'informel. L'informel est déjà en soi un phénomène négatif ; il l'est bien plus encore et prend un caractère autrement plus néfaste lorsqu'il valorise et légitime la défiance vis-à-vis de l'encadrement étatique de l'activité et qu'il participe ainsi à un mouvement d'ensemble de destructuration de l'économie et de la société. En Algérie, les incitations à produire sont moins importantes que les incitations à importer dans un pays qui en a les moyens. Des économistes évoquent même des désincitations institutionnelles envers l'essor des activités productives qui se traduisent par un coût d'entrée sur le marché prohibitif pour les nouveaux acteurs économiques. Outre les coûts de transaction élevés, qui sont un des gros obstacles à la création d'entreprises et à la promotion de l'investissement productif, ces désincitations concernent le flou du cadre légal et l'importance du réseau personnel pour réussir dans les affaires. “L'économie algérienne est toujours en attente d'une politique économique qui inscrit la croissance dans la durée, qui conduit à une diminution des importations et qui ouvre des perspectives de création d'emplois pour la jeunesse ruinée par le chômage”, avait souligné récemment le professeur Abdelmadjid Bouzidi. Mais fondamentalement, la nature de notre économie, par essence rentière, surtout, ne favorise pas l'émergence d'une bonne gouvernance. Après cet aveu d'échec, que faut-il faire ? D'autant que ceux qui ont échoué, ont remporté, semble-t-il, les élections législatives. Il faudrait, peut-être, comme le suggère l'initiative Nabni, “couper le cordon” de la rente, au risque de voir “le bateau Algérie”, couler. Ouyahia lui-même avertit que la situation difficile vécue par l'Algérie dans les années 1990, sur les plans sécuritaire et économique “peut revenir si rien n'est fait pour construire le pays”. S'il subsistait encore un doute sur la déliquescence de l'Etat, Ouyahia vient de le dissiper. Malheureusement, l'Algérie, comme le “Titanic” en son temps, n'a pas encore négocié le virage pouvant lui permettre d'éviter l'iceberg. Malgré les innombrables avertissements que le n°1 du RND vient de reprendre à son compte. Mais lui est Premier ministre. Alors, jusqu'où ira Ouyahia ? M R