Les jeunes Egyptiens de la place Ettahrir n'ont pas été voter. Ils savent que, dans tous les cas, le résultat du scrutin n'aura rien à voir avec leur rêve de liberté. Quelques-uns ont tenté, vendredi, de réinvestir leur place ; ils ont juste pu constater que la mobilisation n'était plus là. Et qu'on ne peut refaire une révolution à tout moment. Ils sont retournés se réfugier dans l'abstention pour ne pas avoir à “choisir entre la peste et le choléra”. Auparavant, l'armée avait annulé a posteriori le processus électoral législatif. De la même manière que l'Armée algérienne a empêché les législatives de décembre 1991 d'aller à leur terme en suscitant la vacation de pouvoir, le Conseil suprême des Forces armées a mis des formes constitutionnelles pour dissoudre une Assemblée déjà élue : la Haute-Cour constitutionnelle, d'ancienne cuvée, a déclaré illégale une partie de la loi organisant les élections législatives. L'issue politique du “printemps du Nil” sera celle de la confrontation traditionnelle, quoi que pour l'instant feutrée, entre les militaires et les islamistes. Pas plus que l'esprit d'Octobre 1988 d'Algérie n'a été honoré ni par les urnes ni par les coups d'Etat qui lui ont fait suite, les espoirs de janvier 2011 d'Egypte ne connaissent aucun début de traduction dans les élections et les coups d'Etat qui les “corrigent”. Entre le régime militaire et les Frères musulmans égyptiens, il y a une longue histoire d'entente-confrontation. L'entente se fonde sur le refus commun d'une forme d'Etat libertaire et sécularisé ; la confrontation découle de la difficulté de concilier l'hégémonisme islamiste délié par la légalisation de ses partis et par le suffrage universel et la conception patrimoniale que l'armée se fait de son pouvoir. Nous sommes loin des idées et des aspirations qui ont mobilisé la jeunesse dans les principales villes. Devant la bipolarisation du choix national, les aspirations démocratiques personnalisées par les forces laïques serviront, au mieux, de faire valoir, mais plus jamais d'option à part entière. C'est que l'histoire des dictatures arabo-musulmanes est une histoire d'autoritarisme à fondement idéologique identitaire : le nationalisme arabe et la référence religieuse y étouffent, par la terreur morale et physique, par la terreur d'Etat et la terreur sociale, toute projection alternative. Etat et mouvement obscurantiste poussent solidairement la pensée et le sentiment libres à la marge. À la marge du pouvoir et à la marge de la société. C'est la raison pour laquelle les jeunes “révolutionnaires”, souvent, se réfugient dans les réseaux sociaux : pour se retrouver, mais aussi pour se protéger. Internet rend possible la création de microsociétés de liberté, mais permet aussi une sorte de clandestinité par rapport à la société globale. Quel que soit le président élu, les militaires s'emploieront à gagner du temps — le temps de nommer une nouvelle commission de rédaction de la Constitution et de pallier le vide législatif, avec un président sans relais institutionnels — et les islamistes à les presser de céder du pouvoir. L'avenir égyptien de l'irrédentisme conservateur des militaires et de la structuration des forces islamistes. Ni la Tunisie, ni l'Egypte ne sont condamnées à rejouer la tragédie algérienne, mais il y a, là, les prémices d'un avenir qui s'éloigne de l'aspiration démocratique. M. H. [email protected]